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Russie environ 600,000, conservant leur religion, leur langue, leurs mœurs, portant le nom de colonistes et formant sous ce titre une classe à part, en dehors des quatre ou cinq castes entre lesquelles est répartie la nation russe, et, comme celles-ci, ayant ses privilèges particuliers, entre autres l’exemption du service militaire. Vivant en étrangers dans l’état dont ils sont sujets, ces colonistes ont développé admirablement, mais exclusivement, plusieurs des qualités germaniques, l’esprit d’ordre, l’esprit de famille et d’économie. Ils se sont fait dans leurs petites républiques une civilisation villageoise et pour ainsi dire domestique. Ils ont formé des colonies agricoles fort prospères, fort curieuses pour le politique comme pour le philosophe ; ils sont arrivés à un bien-être honnête et modeste, mais sans chercher à s’élever au-delà matériellement ou moralement. Aussi presque nulle au point de vue matériel par leur isolement, leur influence sur le peuple russe a été moindre encore au point de vue moral. Si l’Allemagne a eu une si grande part dans le développement de la Russie, elle l’a dû bien moins à ces colonies, toutes repliées sur elles-mêmes, qu’aux Allemands des provinces baltiques et à ceux de l’empire.

Tout différent a été le rôle des émigrans gréco-slaves. Alors même qu’ils ne se sont pas encore complètement fondus dans le peuple russe, ils ne forment pas, comme les Allemands, un corps à part dans l’empire. La ressemblance de langue pour les Slaves, l’unité de foi pour presque tous, ont été un trait d’union entre ces émigrans et leur nouvelle patrie. Il y a parmi eux de toutes les tribus chrétiennes de l’Orient : Grecs, Roumains, Serbes, Dalmates, Bulgares, Tchèques, Ruthènes, anciens sujets turcs ou autrichiens, venus jadis en Russie par sympathie politique ou religieuse. Cette émigration, contemporaine du premier réveil national de ces petits peuples d’Orient, a peu à peu cessé à mesure des progrès de leur indépendance ou de leur autonomie sur le sol natal. C’est dans la Nouvelle-Russie et en Crimée que se sont établies la plupart de ces colonies, fondées le plus souvent, comme celles des Allemands, par villages et même par villes. La contrée autour d’Odessa, avant son nom actuel de Nouvelle-Russie, reçut même de ses colons serbes le nom de Nouvelle-Serbie. Beaucoup de ces Orientaux ont pris en Crimée ou sur les côtes voisines la place laissée vide par les émigrans tatars ou nogaïs, en sorte qu’entre les deux empires russe et turc il s’est établi un double mouvement d’émigration et d’immigration, l’un attirant à lui les chrétiens, l’autre les musulmans. Chose singulière, ces petites colonies orientales, grossies d’Arméniens et de Juifs, ont eu sur le développement de la Russie une influence plus considérable que ces florissantes colonies allemandes.