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étaient une perpétuelle menace pour l’équilibre européen. Le prince de Schwarzenberg avait une façon hardie de répondre aux votes de Francfort qui excluaient l’Autriche germanique de la commune patrie allemande ; il annonçait le dessein d’y faire entrer l’Autriche entière, l’Autriche non allemande qui ne faisait point partie de la confédération, l’Autriche slave et hongroise, l’Autriche des Magyars, des Tchèques, des Polonais, des Galiciens, des Croates, aussi bien que celle de Vienne et de l’archiduché. Cette masse de peuples étrangers à l’Allemagne eût pesé d’un terrible poids dans la balance de l’unité, le nouvel empire eût été entraîné dans les voies de la réaction autrichienne, et le prince Félix de Schwarzenberg, le Bismarck d’il y a vingt-cinq ans, aurait établi au centre de l’Europe un empire de 70 millions d’âmes. On voit, pour le dire en passant, combien la France était également désintéressée dans ce temps-là entre la Prusse et l’Autriche. Si la lutte de ces deux grandes puissances eût éclaté de 1848 à 1851, comme elle a éclaté en 1866, la victoire de l’Autriche nous eût été peut-être plus funeste encore que ne l’a été celle de la Prusse. Eh bien ! les hommes d’état de l’Angleterre, très attentifs dès 1848 à ces remaniemens du centre de l’Europe, déclaraient que les législateurs de Francfort avaient bien mérité de l’équilibre européen en rejetant l’Autriche hors de l’Allemagne.

Que faisait cependant Frédéric-Guillaume IV ? Fidèle aux traditions séculaires, il n’admettait point que les Habsbourg pussent jamais cesser d’occuper le premier rang dans le monde germanique. Seulement, nous l’avons vu, il imaginait toute sorte de combinaisons pour concilier la majesté des fonctions dévolues à la maison d’Autriche avec le rôle plus actif qu’il croyait assigné à la Prusse. On se rappelle cette singulière invention d’un saint-empire romain représenté par les Habsbourg et d’une royauté allemande donnée aux Hohenzollern, le tout formant au centre de l’Europe la monarchie grandiose que rêvait Dante Alighieri. Frédéric-Guillaume croyait apaiser par là les ambitions impétueuses du prince de Schwarzenberg, il croyait aussi donner satisfaction dans une certaine mesure aux vœux du parlement de Francfort ; enfin il était heureux de ne rien accorder à l’esprit révolutionnaire du parlement, car c’était aux princes souverains de l’Allemagne, à eux seuls, qu’il voulait demander la consécration de cette grande œuvre. Ce dernier point frappa M. de Bunsen. Il crut y voir le germe d’une solution. Puisque l’Autriche ou du moins son ardent ministre, le prince de Schwarzenberg, voulait confisquer l’Allemagne au profit d’une grande monarchie absolutiste que l’Europe ne tolérerait point, n’était-ce pas le moment pour les souverainetés allemandes de