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main comme la veille à la politique qui a été pratiquée depuis deux ans, que le dernier gouvernement a eu la sagesse d’inaugurer, que le gouvernement du 24 mai a recueillie et qu’il suit encore. Qu’ont fait ces deux gouvernemens ? Ils ont senti l’un et l’autre la nécessité de ne pas revenir sans cesse sur des transformations accomplies, d’éviter les ombrages, les susceptibilités, les froissemens entre deux nations faites pour être des alliées, non des ennemies. On leur a créé plus d’une fois des difficultés par des manifestations peu mesurées, par des excitations irréfléchies, ils ne se sont pas écartés de cette prudente modération qui était une dignité pour la France ; M. le duc de Broglie a refusé de changer notre ministre à Rome, et la conséquence a été de maintenir les relations de la France et de l’Italie dans des conditions faciles et amicales.

On ne ferait rien de plus, parce qu’on ne va pas d’un esprit léger au-devant de toutes les impossibilités, parce qu’il n’est pas de gouvernement qui osât aujourd’hui courir cette aventure d’une guerre pour la restauration du pouvoir temporel du souverain pontife. On ne ferait rien, seulement on laisse croire qu’on ferait tout, et sait-on en définitive quel est le résultat inévitable de cet étrange système ? On ébranle nos relations les plus naturelles, les plus essentielles ; on met un singulier et triste zèle à entretenir, à développer cette situation où à des manifestations d’hostilité, à des menaces mal déguisées venant d’un parti qui peut arriver au pouvoir en France, les Italiens répondent nécessairement par de la réserve, par des défiances, par une certaine inquiétude de l’avenir. On n’a pas réussi encore à jeter l’Italie dans une alliance avec l’Allemagne, on fait penser à cette alliance. Est-ce à dire que l’Italie de penchant ou d’instinct incline dans ce sens, qu’elle soit hostile à la France ? Nullement ; le ministère qui a existé jusqu’à ces derniers temps, le ministère nouveau dont M. Minghetti est le chef et où M. Visconti-Venosta est resté comme ministre des affaires étrangères, ces deux cabinets ont la même pensée, les mêmes inclinations pour notre pays. Tous les vrais libéraux italiens n’ont cessé un instant d’être favorables à la France ; c’est leur goût, c’est leur tradition, c’est leur politique ; mais il est bien certain que le jour où l’on prétendrait toucher à ce qui existe au-delà des Alpes, où l’on parlerait de restaurer la souveraineté temporelle du pape, tout changerait. Ceux qui sont des alliés, des amis pour nous deviendraient des adversaires, et ils resteraient encore des adversaires attristés. C’est là au fond la pensée développée avec autant d’élévation que d’habileté dans une série de Lettres politiques, récemment publiées sous ce titre : la France et l’Italie, par M. Boncompagni, un des hommes les plus éminens de la péninsule, un de ceux qui ont aidé Cavour à faire l’Italie. M. Boncompagni garde toutes ses sympathies pour la France, il ne les cache pas, il les avoue bien haut. Tout ce qu’il demande à cette France qu’il aime, c’est de respecter l’Italie à Rome comme ailleurs, en étant chez elle « un peu plus libérale et un peu