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LA BRANCHE DE LILAS.

On massacra les otages, on mit le feu à Paris, il se passa des choses monstrueuses dont vous vous rendez compte mieux que moi qui étais au milieu de la tourmente, et des flammes, et de l’ignorance, et du carnage, trop près de tout cela pour pouvoir rien juger. Du jour où l’on massacra les prêtres, je ne servis plus la commune ; mais je savais qu’elle périrait, et à cause de cela je ne désertai pas. Bien d’autres ont comme moi abhorré les derniers excès commis par le peuple sans le renier cependant au jour de sa défaite. Je ne me battis ni pour ni contre lui ; je sortis dans la rue et je regardai.

C’était l’enfer ; le ciel était noir, tout le reste illuminé par le feu. Les Versaillais se répandirent comme un flot, j’ignore pendant combien d’heures ou de jours ; cela me fit l’effet d’une nuit interminable qu’éclairaient les flammes éternelles. Des enfans couraient, l’incendie à la main ; des femmes noires de poudre, échevelées, la poitrine nue, semblables à autant de furies, vociféraient et maudissaient jusqu’à ce qu’une balle les renversât sur le pavé. Des fenêtres, des toits, le peuple tirait sur les soldats, les soldats répondaient en donnant l’assaut aux maisons et en jetant des cadavres par les fenêtres. Vous savez tout cela ; inutile de vous le raconter. Ce qui vous paraîtra étrange, c’est que je pensais à mon lilas, et que j’allai voir ce qu’il devenait.

Les rues voisines brûlaient, une lutte acharnée avait eu lieu dans le jardin, où nombre de morts gisaient baignés de sang ; mais il était toujours debout, ses grappes odorantes et son frais feuillage se balançaient dans l’air infecté.

Je m’assis sur un tas de bois de charpente qui avait écrasé l’herbe au pied de l’arbuste, et j’attendis. Je n’avais rien à faire. Tandis que j’étais là, un officier, son sabre nu à la main, descendit rapidement la rue fumante en jetant autour de lui des regards inquiets, comme s’il eût perdu son chemin ou ses hommes. Son uniforme était déchiré, poudreux, couvert de sang. Quand les flammes éclairèrent son visage, je jetai un cri de joie. Dieu me l’avait livré. Nous mettons toujours nos crimes sur le compte de Dieu.

Je me dressai et lui barrai le passage : — Enfin ! lui dis-je, enfin !

Il s’arrêta et me regarda stupéfait ; sans doute j’avais changé, moi, et il ne reconnaissait point mes traits. Je ne lui donnai pas le temps de respirer. Tirant mon épée, je me jetai sur lui : — Défends-toi, lui dis-je avant de le toucher.

Nous nous battrions jusqu’à la mort, cela, je le jurais, mais loyalement, homme contre homme.

Quand je parlai, il me reconnut. Il était brave. Il n’appela pas