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une hécatombe désormais inutile rien que pour complaire aux fantaisies du dictateur de Bordeaux ! M. Gambetta avait une étrange manière d’aider Paris, et ce n’était pas le dernier service de ce genre qu’il devait lui rendre. M. de Chaudordy, lui, ne dissimulait pas du moins la vérité, il la disait franchement, virilement, en écrivant le même jour, le 16 janvier, à M. Jules Favre : « Nous ne pouvons plus nous faire d’illusions, et l’effrayante nécessité de la capitulation de Paris est inévitable. Nous ne pouvons plus aller à temps à votre secours. Nos armées sont repoussées sur tous les points… Paris ne peut plus être sauvé par nous… » Voilà ce qu’il y avait de plus vrai et de plus clair.

Puisque le dernier espoir d’un secours extérieur s’évanouissait, tout se réduisait à une question de vivres, et cette question devenait désormais impérieusement pressante, inexorable. Il n’y avait plus à calculer par semaines, on était réduit à compter par jours, peut-être par heures. Avec un peu d’industrie et un surcroît de souffrances pour la population, on pouvait tout au plus vivre huit ou dix jours, en acceptant la chance de passer les derniers momens sans avoir même de ce triste pain qui restait ; mais ce n’était pas tout de vivre ces huit ou dix jours, il fallait songer au lendemain ; il fallait du temps pour négocier, il en fallait surtout pour un ravitaillement devenu difficile avec des chemins de fer à demi détruits, qui resteraient dans tous les cas sous la main de l’ennemi. Qu’il y eût un retard, qu’un accident survînt, on pouvait se trouver tout à coup en plein accomplissement de ces prédictions sinistres que M. de Bismarck notifiait à l’Europe, dès le mois d’octobre, dans une circulaire où il disait : « Dans le cas où la capitulation de Paris serait retardée par le gouvernement provisoire jusqu’au moment où le manque de vivres la rendrait nécessaire, les conséquences seraient terribles. L’absurde destruction des chemins de fer, des ponts et des canaux dans un rayon assez étendu autour de Paris a rendu difficiles pendant longtemps encore les communications entre la capitale et les provinces… Il en résultera infailliblement que des centaines de milliers d’individus devront mourir de faim… » Ainsi on en était là dans ces poignantes journées du 20, du 21, du 22 janvier. Paris, inexpugnable à l’ennemi, ne pouvait songer à se délivrer lui-même ; il n’y avait plus à compter sur le secours des armées de province, rejetées plus loin que jamais ; on touchait à la famine, et déjà on était réduit à se demander si de toute façon, même en se rendant, on pourrait la conjurer.

C’était assurément une situation pleine d’angoisses pour des