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Si l’on est frappé des rapports qui existent entre les formes archaïques de l’art grec et les monumens asiatiques, on doit reconnaître qu’une étude comparée des sculptures de l’Asie-Mineure, avant toute influence hellénique, avec les bas-reliefs de l’Assyrie, formerait en quelque sorte les prolégomènes d’une histoire des origines orientales de l’art hellénique. Ce sont ces prolégomènes que M. George Perrot a écrits. L’art de l’Asie-Mineure, bien qu’original à sa manière, n’a pas de style propre. Les rudes sculpteurs qui ont taillé le roc dans toutes les régions de la péninsule, de la Lydie à la Cappadoce, avaient reçu des artistes ninivites les traditions et les procédés de leur art, On retrouve chez eux quelque chose de ce goût pour les détails du costume et de l’anatomie, de ce don d’observation exacte et de ce tempérament réaliste qui a fait dire à M. Oppert que les Assyriens étaient « les Hollandais de l’antiquité[1]. » Comme leurs maîtres, les artistes de l’Asie-Mineure ont excellé dans l’art de sculpter les formes animales. Si les modernes ont rarement atteint la vérité prodigieuse qui saisit dans les lions et les taureaux des sculpteurs contemporains d’Assurnazirpal, de Sargon et de Sennachérib, si les Grecs n’ont guère excellé en ce genre, à en juger par les lions du Pirée et du Mausolée, les artistes de la péninsule semblent avoir beaucoup mieux rendu le type éternel du féroce félin, au corps allongé, à la démarche vraiment royale, aux muscles puissans et tendus comme des ressorts d’acier, ouvrant une gueule énorme contractée par une sorte de fureur divine. Le lion de Kalaba, près d’Ancyre, rappelle de tous points ceux qui passent sur les vases peints de style asiatique et sur les coupes de métal. Celui de Nimroud, reproduit dans le grand ouvrage de Layard, lui ressemble encore d’une manière frappante ; celui qui, dans les ruines d’Euïuk, tient un bélier terrassé sous ses pieds de devant est aussi fort remarquable. Quant au taureau mené au sacrifice, qui cherche à s’échapper et menace de ses cornes, — motif devenu familier à la sculpture grecque, — c’est un véritable chef-d’œuvre[2]. On peut sans hésiter placer cette belle sculpture à côté de la lionne blessée du grand bas-relief d’une chasse qui est au Musée Britannique. L’art des sculpteurs de Ninive et de la Cappadoce, après avoir fourni des types et des traditions à l’art grec, d’où sont issus l’art romain et l’art moderne, semble encore digne par de telles œuvres de proposer d’inimitables modèles aux plus lointaines générations.

On ne saurait toutefois mettre sur le même rang les sculpteurs de l’Assyrie et ceux de l’Asie-Mineure. Il ne paraît pas que ceux-ci se soient écartés des quelques types de formes humaines ou animales qui leur servaient de modèles. La plastique de tous les peuples a

  1. J. Oppert, Grundzüge zur assyrischen Kunst (Basel 1872), p. 14.
  2. Exploration, etc., t. II, pl. 57.