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théoriciens étaient tout naturellement ceux qui se prononçaient pour l’étalon d’or unique, les gens pratiques défendaient le double étalon. Combien n’a-t-on pas abusé de cet argument pour faire peur au public qui, dans notre pays, est toujours rebelle aux innovations ! Aujourd’hui les gens pratiques sont d’accord avec les théoriciens, ils sont même les plus ardens à demander la réforme monétaire et les plus pressés de la réaliser. On ne placera pas en effet parmi les théoriciens les Allemands de M. de Bismarck, ni les Hollandais, dont l’esprit est si positif. Aussitôt qu’ils ont vu qu’il y avait péril à différer, ils se sont mis résolument à l’œuvre, et il ne se passera pas longtemps avant que la France ne soit pour ainsi dire le seul marché important de l’Europe où l’argent ait encore cours légal. Cette situation, déjà grave, le deviendra chaque jour davantage à mesure que l’argent sera démonétisé ailleurs. On ne la sent pas encore beaucoup, parce que nous vivons sous le régime du cours forcé des billets de banque. La monnaie métallique circule peu, et on n’en est pas encombré ; mais le jour où l’on sortira du cours forcé, — et il faudra bien que ce jour arrive, — la monnaie d’or disparaîtra, ou tout au moins elle fera prime, comme autrefois. Les paiemens se reprendront en espèces d’argent exclusivement, et alors nous éprouverons des embarras de toute espèce.

M. Dumas, dans une discussion fort intéressante qui eut lieu au sénat en 1869, disait qu’en trente ans, depuis 1839, nous avions accompli deux révolutions monétaires, la première pour substituer l’argent à l’or, qui faisait prime, la seconde en 1859 et 1860 pour reprendre l’or, la prime étant revenue à l’argent. Depuis un an ou deux, nous sommes en face d’une troisième, celle du retour à la circulation d’argent, et toutes ces révolutions, bien qu’elles ne concernent que la monnaie, ont aussi de grands inconvéniens : elles nous laissent toujours avec le métal le plus déprécié ; et comme aujourd’hui celui que nous allons avoir ne sera bientôt plus celui des états qui nous entourent, la question prend une certaine gravité pour les intérêts français. Il s’agit de savoir non-seulement si nous voulons conserver une monnaie incommode, comme celle d’argent, qui n’est plus en rapport avec les exigences de la civilisation, mais encore si nous sommes résignés à rester isolés dans notre système monétaire et à renoncer aux facilités que donne pour les relations internationales un instrument d’échange commun, au moins quant au métal.