Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est la situation qui nous est faite aujourd’hui. Les partis s’agitent et se comptent pour la prochaine bataille, la république et la monarchie sont en présence avec des armées presque égales en nombre dans l’assemblée, le pays attend avec anxiété ce qu’on veut faire de lui, l’Europe nous regarde avec plus de curiosité et d’ébahissement que de sympathie : quant au dénoûment, il est au fond du scrutin qui va s’ouvrir dans quelques jours. Que le pays, par ses vœux, par des impatiences prématurées, soit pour quelque chose dans cette crise où il se trouve engagé corps et biens, qu’il l’ait appelée ou provoquée, on ne peut certes le dire. Le pays n’a rien demandé. Depuis deux ans, il est à l’œuvre, il travaille à réparer ses ruines, prodiguant avec une généreuse abnégation tout ce qu’il a de ressources pour se racheter de l’occupation étrangère, se soumettant aux lois qu’on lui fait, aux gouvernemens qu’on lui donne, à celui de M. le maréchal de Mac-Mahon comme à celui de M. Thiers, laissant à l’assemblée la direction souveraine de ses affaires et de sa destinée. La France ne se serait assurément ni révoltée ni même étonnée, si on lui avait dit qu’après tant d’épreuves encore si récentes il était utile, patriotique de prolonger la trêve à laquelle on s’était d’abord rallié en ajournant toutes les querelles d’opinions et de systèmes politiques ; elle n’aurait témoigné ni surprise ni impatience, si on lui avait dit qu’il fallait avant tout s’occuper de reconstituer notre puissance militaire, de réorganiser nos finances, de relever notre enseignement, de coordonner notre administration, et que pour accomplir cette œuvre jusqu’au bout ce n’était pas trop de toutes les volontés, de toutes les prévoyances intelligentes, de tous les dévoûmens. La France n’aurait eu certainement aucune peine à se laisser persuader par un tel langage et à suivre cette politique, elle y était toute disposée.

On ne l’a pas voulu pour elle, parce qu’on a prétendu que c’était prolonger le provisoire, que, sous l’apparence d’une trêve impossible, on s’attachait à une ombre, à une chimère ; chacun a gardé obstinément son arrière-pensée, chacun a voulu poursuivre son but à travers tout, et depuis que nous sommes entrés dans l’ère des douloureuses épreuves, s’il y a un fait de nature à frapper tous les esprits réfléchis, c’est ce contraste éclatant, incessant, entre un pays tranquille, laborieux, bien intentionné, et des partis toujours agités ou inquiets, toujours préoccupés de chercher une occasion pour faire triompher leur régime de prédilection. La vérité est que la crise d’aujourd’hui est le résultat non d’un grand mouvement public, mais de cette agitation. permanente des partis sans cesse à la poursuite d’une circonstance favorable, et quand ces partis taxent d’utopistes ceux qui croient à la possibilité, à la nécessité d’une politique de conciliation nationale, ils ne s’aperçoivent pas que c’est ce qu’ils font ou ce qu’ils tentent qui est la plus ruineuse des utopies, puisqu’au milieu de la division des esprits ils n’arrivent eux-