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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/36

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« Il m’a paru que l’air de ce pays-ci ne vous convenait point ! » Rien ne forme l’esprit comme les voyages, et parfois il nous arrive de subir à notre insu l’influence de ceux que nous venons endoctriner ; tel croit ne faire que donner qui reçoit beaucoup. « Il y a dans le caractère, des Français, dit M. de Maistre, il y a dans leur langue surtout une certaine force prosélytique qui passe l’imagination. » Oui, certes ; mais cette force peut être prise au dépourvu et modifiée par les circonstances. Ainsi la propagandiste Corinne rencontre en Allemagne les Schlegel, met le pied dans le cercle des romantiques, découvre d’autres horizons, et bientôt la conquérante à son tour est conquise. Autant il en advint à Chateaubriand, à Benjamin Constant et aux divers maîtres de cette littérature « de l’émigration, » ainsi qu’on l’a nommée, et qui fut la vraie littérature française à cette époque, — œuvre de sentiment, de rêverie et de réflexion qui gagnait l’Europe, tandis qu’à Paris régnaient le sabre, l’ode classique et les sciences exactes. On veut bien continuer Voltaire, mais en réagissant d’ici et de là sans prendre garde que dans l’esprit dont on se sert pour réagir est encore l’esprit de la révolution, — et comment en serait-ce autrement, puisque l’arme avec laquelle on combat Voltaire, c’est Rousseau ? C’est dans Rousseau que tous les nouveaux courans prennent leur source, même alors qu’ils nous reviennent en France par l’Angleterre et l’Allemagne, car ce groupe illustre dont nous suivons le mouvement, ces romantiques d’avant le romantisme se développent, grandissent hors de France. Force était aux émigrés d’apprendre les diverses langues de l’exil. De ces études, un meilleur système d’informations devait résulter. Les points de vue changent, la perspective s’étend. On commence à réagir contre Voltaire, mais en s’inspirant de Rousseau et comme en attendant que Voltaire revienne sur l’eau plus tard avec les normaliens de 1848, — car il est écrit que nous n’en finirons jamais avec ces deux noms-là Quand l’un s’efface pour un temps, l’autre aussitôt reparaît en plein éclat. Ils sont la force qui nie et la force qui affirme, ils sont la pensée et le style. Qui maintiendra le caractère tout français de cette littérature, qui empêchera l’accent national de s’altérer chez des écrivains forcés de parler leur langue à l’étranger ? Rousseau, toujours Rousseau, car, si Voltaire a le privilège de saisir davantage la généralité des esprits, son influence à lui semble s’exercer de préférence sur les talens.


IV

La raison n’est point tout dans ce monde, les passions et les choses du cœur y revendiquent aussi leur place, une très large place, et les