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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/37

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plus doux biens de l’existence sont ceux qui se dérobent à la définition mathématique, qui se gaussent de l’analyse. Si l’esprit du XVIIIe siècle est le poison, le romantisme fut l’antidote ; mais ce qui ne s’était guère vu, c’est qu’un principe et son contraire s’amalgament d’une façon tout harmonique dans un même individu. Cela se vit pourtant chez les auteurs de René, d’Adolphe, et surtout chez l’auteur de Corinne, qui domine le groupe. Les autres procéderont par accès et bourrasques ; révolutionnaire hier, aujourd’hui réactionnaire, Chateaubriand aime la rude et bizarre antithèse, tandis que chez Mme de Staël on verra les deux tendances se fusionner honnêtement. Chateaubriand est un politiqueur de génie, infatué de tous les biens dont il regorge, Benjamin Constant, ondoyant et divers, est simplement un homme de lettres ; relisez Corinne, l’Allemagne, les Considérations, vous saisirez également les deux tendances, mais vous oublierez ce sens révolutionnaire à la fois et réactionnaire du livre pour n’en admirer que l’esprit réformateur. Il semble que la tâche de cette noble vie fût de concilier. Elle eut de charmans efforts pour mettre les salons en communauté avec la littérature, l’art en rapport avec l’existence, et cela non point, comme Byron et son école, pour railler et flétrir, mais pour expliquer, consoler. Dirai-je son enthousiasme international, ses jugemens parfois incomplets ? Si elle idéalise tout ce qu’elle voit, c’est pour le plus grand avantage de son pays, qu’elle prend à cœur d’instruire et d’intéresser, cherchant dans la constitution anglaise et la littérature allemande des élémens de culture et de rénovation, et poursuivant en même temps que l’œuvre littéraire l’œuvre d’humanité.

Mme de Staël s’appuie à la littérature allemande, la traduit, la commente, et à ce propos quel contraste entre les jugemens qu’elle porte sur l’Allemagne et ceux de Schlegel sur la France ! Quelle généreuse sympathie d’un côté et quel dénigrement de l’autre ! Autant Mme de Staël manifeste de clairvoyance et d’enthousiasme, autant Schlegel montre d’inintelligence et de mauvaise humeur. Il n’a pour Corneille et Racine que de l’ironie, prend vis-à-vis de Molière un air de dédain qui fait pitié. L’influence dont Mme de Staël s’était pénétrée gagna la France et bientôt étendit son règne. Les réalités de l’existence avaient trop rudement sévi pendant la sanglante crise qu’on venait de traverser pour qu’au premier prétexte un mouvement ne se déclarât point en faveur de l’idéal, du rêve et du surnaturel. La révolution française était le résultat vers lequel avaient tendu toutes les aspirations du XVIIIe siècle. Or la révolution paraissait avoir succombé sous sa propre dialectique ; où se tourner, quels horizons interroger ? Le rationalisme ayant décidément fait