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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/374

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meut tout en restant tranquille. Un tel gouvernement philosophique, si cette expression peut convenir à une action tout intellectuelle, se concilie avec la plus entière liberté. Son disciple, M. Lachelier, n’a recueilli sa pensée que pour la transformer et la subtiliser, la rendant à la fois plus précise et plus téméraire. Un autre penseur, venu quelque temps plus tard, s’étant formé tout seul et ne relevant que de lui-même, M. Alfred Fouillée, entrait dans des voies analogues, et se rencontrait avec les philosophes précédons plutôt qu’il n’en subissait l’action.

Tout cela, à vrai dire, était beaucoup plus confus que nous ne le disons ici. Il n’y avait pas d’école proprement dite, il y avait plutôt une tendance commune avec de très grandes différences, plutôt un esprit général que des doctrines définies, plus de souffle spéculatif, plus de libéralisme métaphysique, plus de mysticisme dans le sentiment, plus de poésie dans l’expression, plus de subtilité et d’obscurité dans la pensée. Chacun de ces philosophes a ses pensées propres qu’il serait assez difficile peut-être, de réduire à un même système, dominées cependant par une maxime commune et fondamentale : c’est que l’explication suprême doit être cherchée dans ce qui est le plus élevé et non dans ce qui est inférieur ; c’est que le fond des choses est l’esprit, la pensée, la liberté, et non la matière, qui, malgré le cri des sens aveuglés, n’est que l’ombre et l’apparence de la réalité.


II

La philosophie de M. Ravaisson a déjà été dans la Revue l’objet d’un travail approfondi, dû à la plume savante et autorisée de M. Vacherot[1]. Nous n’y revenons que pour signaler le point de départ du mouvement philosophique plus jeune et plus récent que nous voulons étudier. Cette philosophie, à vrai dire, se compose plutôt de vues brillantes et profondes, jetées en phrases courtes et abruptes, d’une manière à la fois fière et nonchalante, que de doctrines rigoureusement définies, sévèrement liées, abondamment développées. La discussion, l’analyse, l’exposition des conséquences, la détermination précise des idées, en un mot tout ce qu’on appelle dans l’école les procédés discursifs, y sont subordonnés ou même sacrifiés à la méthode synthétique et intuitive. L’auteur voit et affirme : à vous de voir comme lui ; mais, à défaut de dialectique, l’éclat et la force de la pensée, la beauté de l’expression, la noble grandeur de l’émotion philosophique, subjuguent et captivent. La pensée

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1868.