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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/457

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REVUE MUSICALE



Ce n’était pas assez des incendies allumés par la commune ; la salle de l’Opéra, comme l’Hôtel de Ville, les Tuileries, comme le palais du conseil d’état et le ministère des finances, vient, elle aussi, de disparaître dans les flammes ! Que de souvenirs emportés en une nuit ! Au premier moment, on n’aperçoit que le désastre matériel ; on court aux victimes, on déblaie les ruines, c’est à qui s’empressera d’offrir sa coopération à l’œuvre de sauvetage et d’humanité. Plus tard surgissent des idées d’un autre ordre : on se prend à regarder en arrière, à réfléchir sur tout un passé naguère encore vivant parmi nous, et que ces monceaux de cendres recouvrent maintenant à jamais. Les murs parlent, se souviennent, ils font surtout qu’on se souvient. Ceux qui se sont écroulés là devant nos yeux avaient vu naître les plus grandes conceptions d’une période musicale qui de longtemps ne trouvera pas sa pareille ; ils furent la patrie de la Muette, de Guillaume Tell et de la Juive ; Robert le Diable, les Huguenots, le Prophète, l’Africaine, ils ont contenu tout Meyerbeer. Et quels artistes ont figuré sur cette scène, qui, bien que disparus, — par la seule magie et le seul enchantement des lieux, — vous souriaient, vous entouraient ! « Tous ces hommes vieillis glorieusement dans les lettres, ces écrivains auxquels nous succéderons, mais que nous ne remplacerons pas, ont vu des jours plus heureux ; ils ont vécu avec Buffon, Montesquieu et Voltaire ; Voltaire avait connu Boileau, Boileau avait vu mourir le vieux Corneille, et Corneille enfant avait peut-être entendu les derniers accens de Malherbe. » Il semble que cette belle chaîne du génie français que regrettait Chateaubriand se soit également brisée pour la musique. L’incendie a creusé un abîme qui sépare à jamais l’avenir et le passé. Et si de cette scène où revivaient les Nourrit et les Falcon, les Duprez, les Mario, les Taglioni et les Elssler, vos regards se tournaient vers les loges, trois générations de beautés vous apparaissaient aussitôt ; derrière la mondaine d’aujourd’hui et d’hier, la femme intellectuelle et sérieusement artiste du règne de Louis-Philippe, puis au fond, planant et dominant, la grande dame