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de la restauration ! Et ces couloirs des premières, ce foyer où tout ce que notre siècle a d’illustre et de charmant a circulé : orateurs, poètes, peintres, publicistes, — espèce de Champs-Elysées où les ombres des chers morts venaient comme se mêler à nos groupes, où vous vous sentiez tressaillir par instans à la poignée de main de Berryer, au cri d’enthousiasme d’Eugène Delacroix, à la parole de Stendhal, de Musset, de Loève-Veimars ou de Mérimée ! Campos ubi Troja fuit ! Souvenirs effacés, mirages dissipés par l’ouragan de flammes ! Laissons gronder, fumer le gouffre, et tâchons de regarder ailleurs. Quand Orphée enlevait Eurydice, il voulut tourner ses regards en arrière, et l’Orcus lui reprit sa proie. Disons adieu au passé et n’envisageons maintenant que l’avenir.

L’avenir, c’est la nouvelle salle, c’est-à-dire l’inconnu, la table rase, des conditions d’exploitation inusitées, une augmentation énorme dans le personnel, d’autres systèmes de décors et de mise en scène, tout un monde à dégager du chaos ! Et encore cette nouvelle salle ne l’aurions-nous qu’en 1875. Quinze mois, un an, c’est beaucoup trop, la situation exige de plus brefs délais : qu’on s’y mette donc et rudement ; à force de travail et d’argent, on supprime le temps[1]. D’ailleurs quel besoin d’attendre l’entier achèvement de l’édifice, qu’importent les foyers, les corridors ? Si la salle et le théâtre sont prêts, installez-vous, prenez possession de la maison pendant que les peintres et les ornemanistes y sont encore. Il y a ici en effet deux inconvéniens à ne pas perdre de vue. D’une part, rester plusieurs mois sans jouer, c’est amener la dis-

  1. Voici l’état dans lequel se trouvent en ce moment les travaux du nouvel Opéra ». « Les bâtimens d’administration comprenant les magasins, les salles des bibliothèques et des archives sont à peu près terminés ; il ne reste à exécuter que quelques travaux de menuiserie sans importance. Il en est de même des loges des artistes. La salle elle-même est également fort avancée, du moins pour le gros œuvre ; mais le travail d’ornementation n’est même pas commencé. À la scène, — la partie la plus difficiles à cause des complications de la machinerie, — à la scène, il n’y a rien de fait. C’est là une grande affaire, qui demande à être conduite avec beaucoup de circonspection, et les améliorations que l’on se propose d’y apporter exigeront que l’on procède avec quelque lenteur. Le grand escalier, qui sera une pièce extraordinairement remarquable, est loin d’être fini, bien que l’on y travaille depuis plus de deux ans ; il y a là de l’ouvrage pour plus d’une année encore. Les travaux d’art et de décoration qui restent à exécuter sont nombreux ; mentionnons les candélabres énormes de l’escalier les incrustations de marbre de plusieurs pièces, les dessins du plafond de l’avant-foyer, les statues et les draperies du grand foyer de la danse, sans compter une foule de petits détails dont l’énumération serait trop longue. Tel est sommairement décrite, la situation actuelle du nouvel Opéra, dont la partie extérieure est entièrement terminée. » En présence d’un pareil tableau, est-il permis d’espérer que d’ici à quelques mois la place puisse être occupée ? Il faudrait pour cela des prodiges de volonté qui ne sont guère dans nos mœurs administratives. Le ministre s’entoure de lumières, nomme des commissions et fait des vœux ; de son côté, l’architecte tient à parachever et parfaire son chef-d’œuvre, ce qui demandera du temps ; mais ne serait-ce point possible, sans rien bâcler, d’aller vite et surtout d’aller au plus pressé ?