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conjuration contre eux. C’était de l’honneur selon le vieux préjugé corse. On en usait de même envers la république. Aussi ceux qui rappelaient la famille régnante ne comptaient jamais parmi ses anciens amis, et ceux qui la chassaient avaient été souvent de ses partisans primitifs. Dans une telle disposition des esprits, la couleur politique était chose de circonstance. Toute versatile que puisse être encore la nature humaine, il faut bien reconnaître que les partis chez les modernes sont mieux classés.

Machiavel pouvait donc, sans imprimer aucune tache à son honneur, devenir de républicain monarchiste et de monarchiste républicain, ou plutôt, — car ces mots et les idées qu’ils représentent ne sont pas du XVIe siècle, — il ne faisait que passer, comme l’indique très bien Guichardin, du stato stretto, gouvernement concentré, au stato largo, gouvernement du grand nombre, et réciproquement ; encore faisait-il dans le premier une part aussi grande que possible au second, et il est à remarquer qu’il fut toujours, jusqu’à un certain point, démocrate.

Il importe si fort de se mettre au point de vue du temps pour juger de ses variations, qu’il n’est pas hors de propos de le comparer à Nardi, le plus respecté des républicains de ce siècle, dont la renommée est restée pure de toute tache, bien que son opinion politique ait eu ses capricieuses évolutions. Cet auteur bien connu de l’Histoire de la cité de Florence trouva, comme Machiavel, une ressource dans la littérature, et, ainsi que lui, commença par la vie politique : ses débuts furent même plus brillans, son rôle plus considérable dans la république ; il se trouva plus engagé dans le parti hostile à la dynastie naissante. Que voyons-nous cependant en 1513 ? Il compose des chants carnavalesques en l’honneur des Médicis, revenus depuis un an. Les événemens le jettent de nouveau dans le camp du gouvernement populaire. Il est proscrit. Quand au tribunal de Charles-Quint, constitué juge entre le prince et les Florentins bannis, on lui permet de rentrer à Florence, que répond-il avec les autres exilés ? Qu’il n’est pas venu pour savoir à quelles conditions le duc Alexandre l’accepterait pour serviteur : tant il est vrai qu’il s’agit moins de convictions politiques que d’honneur personnel. Au reste, réfugié à Venise, son exil n’est pas une rupture irréparable ; il correspond avec ses amis de Florence ; il reçoit des secours du grand-duc Cosme, qui répare en quelque manière les violences du gouvernement absolu. De loin, le pouvoir qui avait prononcé l’exil tâchait de l’adoucir. Le souverain de Toscane fait choix de lui pour présider la colonie florentine de Venise, et Nardi vieillit entouré d’hommages, appelé par tous les contemporains « le vénérable, le bon Nardi. » Après cela ne serait-ce pas un anachronisme d’en faire un intraitable républicain ?