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l’unité moderne d’administration et de l’effacement des anciennes divisions territoriales, on sent encore aujourd’hui, à ne pas s’y tromper, que ce furent là des pays annexés et enlevés à leurs centres naturels d’attraction. Montluçon c’est la Marche, Gannat et Vichy c’est l’Auvergne, La Palisse c’est le Forez, les caractères de ces provinces sont reconnaissables, à ne pas s’y méprendre, dans ces divers lopins de terres qui sont venues grossir successivement le domaine primitif des seigneurs de Bourbon. Le Bourbonnais n’est donc pas une création de la nature, c’est une création de la féodalité. Ce fait me devient sensible pour la première fois en approchant de Montluçon, c’est-à-dire après avoir quitté Moulins depuis moins d’une heure. Dans les paysages que me découvre peu à peu la route, je reconnais avec étonnement ces paysages de la Marche que je ne pourrais jamais confondre avec ceux d’aucune autre province, en connaissant dès l’enfance les détails les plus minutieux. Voilà bien la forme et la sauvagerie des mamelons de la Marche. C’est ainsi qu’en sont creusées les gorges, ainsi que les pentes en sont ravinées; c’est bien la même terre, car voilà la même végétation de bruyères et de genêts. L’aspect du pays est encore bien plus frappant quand on va de Montluçon à Néris, et que l’on contemple ce paysage d’un pittoresque raté selon l’expression judicieuse d’une personne d’esprit, ces vilaines montagnes grises revêtues de leur seule stérilité, ces affreux précipices qui ne rassurent l’œil par aucun pli gracieux de terrain, par aucune oasis de végétation riante. C’est bien là l’ossature, le squelette, la structure fondamentale des paysages de la Marche, si ce n’en est pas la chair, l’épiderme et la couleur. Si de la nature on passe à la population, quelques journées de séjour à Montluçon, à Néris ou dans les environs vous montreront chez les habitans les mêmes mœurs, les mêmes coutumes, les mêmes manières d’agir, de parler, et jusqu’aux mêmes modes d’alimentation qui distinguent les habitans de la Marche. Le district de Montluçon est la partie laide et riche du même pays dont le département de la Creuse est la partie belle et pauvre.

Je fais part de mon observation à un jeune habitant de Montluçon qui me la confirme en y ajoutant des détails pleins d’intérêt. « Montluçon est tellement la Marche, me dit-il, qu’elle n’a de rapports de quelque sorte que ce soit qu’avec cette province. Le Bourbonnais est aussi loin de notre ville que s’il en était à cent lieues. Toutes les affaires par exemple se font avec le département de la Creuse, et en dehors de la Creuse les affaires de l’arrondissement se rapportent, par Commentry, ses forges et ses houilles, à l’industrie générale de la nation ; Moulins et le nord du Bourbonnais n’y entrent à peu près pour rien. Il en est de même dans les rapports moraux et les relations sociales. Les familles de Montluçon n’ont aucun rapport,