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si petit qu’il soit, avec les familles de Moulins, qu’elles ne connaissent pas plus que ne les connaissent d’ailleurs celles de Moulins, fait exceptionnel et qu’on ne rencontrerait au même degré dans aucun autre département. C’est avec les familles de la Creuse qu’elles contractent leurs alliances, qu’elles ont leurs relations de plaisir et de société. Si vous allez à Vichy, vous y rencontrerez le même fait; les habitans de cette partie de la province sont aussi étrangers aux habitans de Moulins que le sont ceux de Montluçon. Ce sont des groupes très différens qui ne se sont pas pénétrés. » S’ils ne se sont pas pénétrés, étant rapprochés depuis si longtemps, c’est qu’il y a sans doute une raison à cela, et cette raison, c’est que ces groupes, appartenant par nature à d’autres provinces que celle dont ils font partie, continuent de chercher leur centre de vie là où la nature l’avait placé.

Montluçon, c’est donc la Marche, mais pour ainsi dire avec indépendance, car elle s’en détache par des nuances qu’il est plus facile de sentir que d’exprimer. Tout ce district a bien sa physionomie propre qui en fait un pays distinct. Aussi n’est-on pas étonné qu’il ait formé aux premiers siècles de la féodalité une seigneurie particulière, seigneurie qu’un mariage fit passer de bonne heure sous la domination de l’un des Archambault de Bourbon, En observant cette nuance, je suis frappé d’un fait sur lequel la réflexion ne s’est pas assez portée, c’est que la première féodalité, dans ce fractionnement infini qu’elle fit du pays, respecta beaucoup plus qu’on ne pourrait croire les divisions naturelles du sol. Chacun de ces lots de terre qui formèrent les premiers grands fiefs, considéré avec attention, se présente bien d’ordinaire comme un tout qui a son caractère propre et ses limites précises. C’est plus tard, lorsque les fiefs s’étendirent, et que les accidens des mariages ou l’enchevêtrement des intérêts firent passer les terres de leurs premiers maîtres à des maîtres lointains, que se montrèrent les bizarreries et les monstruosités que l’on a justement reprochées aux divisions féodales; mais à l’origine ces divisions furent très suffisamment précises et fondées sur la nature : la preuve en est dans ce fief primitif de Bourbon, premier noyau du Bourbonnais, qui ne présente aucune ressemblance avec les pays circonvoisins qu’il s’incorpora successivement; la preuve en est dans cette ancienne seigneurie de Montluçon, qui eut sa raison d’être, puisque nous sommes obligés de reconnaître encore aujourd’hui à cette région une originalité propre.

Il y a deux villes dans le Montluçon actuel, une ville féodale et une ville industrielle. La ville féodale est encore debout presque tout entière ; le château-fort autour duquel elle se groupait a dis- paru et a fait place à une très belle caserne, mais les rues avec