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leurs pauvres maisons de bois continuent à serpenter autour du sommet de la colline et à grimper le long des rampes de la forteresse, tout comme si le maître auquel elles prêtaient aide et dont elles recevaient protection était encore là. À l’exception des hauts quartiers de Loches, je n’ai encore rien vu qui donne aussi nettement l’idée d’une ville française du moyen âge; ici l’imagination n’a nul effort à faire pour évoquer une vision du passé au moyen de vestiges et de restes, car c’est la réalité du moyen âge lui-même qui est venue jusqu’à nous en état parfait de conservation. Que Montluçon ait été une place féodale de la plus grande importance, sa position suffit amplement à l’expliquer. Elle commande l’entrée de la Marche, elle forme l’arrière-protection du Bourbonnais, et ferme, de ce côté au moins, l’accès de l’Auvergne. Aussi est-ce une des villes de cette région qui ont été le plus disputées pendant cette longue occupation de l’Aquitaine par l’Angleterre, qui naquit de l’impolitique et désastreux divorce de Louis le Jeune, qui, en dépit des victoires de Philippe-Auguste et de saint Louis, n’y cessa jamais entièrement, et qui, renouvelée et aggravée lorsque Edouard III étendit ses prétentions à la France entière, ne prit fin qu’avec le triomphe de Charles VII. Le lecteur qui serait curieux de cette vieille histoire apprendra, par la chronique de Guillaume le Breton et par celle de Rigord, comment Philippe-Auguste enleva cette ville au roi Henri II d’Angleterre, et, par les historiens du XIVe siècle, comment le duc Louis II, qui y résidait fréquemment, la défendit contre les capitaines anglais. Les temps sont radicalement changés, et l’importance de Montluçon est aujourd’hui d’un ordre tout pacifique; cependant ses habitans semblent avoir été industrieux même à cette époque guerrière, seulement leur industrie, en rapport avec les préoccupations de l’époque, avait encore la guerre pour objet. Les bonnes lames de Montluçon étaient célèbres au XVe et au XVIe siècle presqu’à l’égal des lames espagnoles de Tolède et de Bilbao; mais le règne des armes blanches était alors à son agonie, cette fabrication tomba bientôt, et alors Montluçon, perdant à la fois et son importance militaire, qui n’avait plus de raison d’être dans un pays arraché par l’ordre monarchique aux guerres féodales, et son industrie, entra dans une période d’obscur repos, d’où il ne sortit qu’au commencement de ce siècle.

C’est moins par son initiative propre, il faut bien le dire, que par un concours de circonstances favorables que Montluçon s’est relevé; seulement sa situation est si heureuse que, dès que ces circonstances se sont présentées, Montluçon est devenu ce qu’il devait être. Et d’abord il a bénéficié de la transformation complète qu’opéra à la fin du dernier siècle dans les sauvages districts voisins un homme éminent par ses connaissances métallurgiques et ses aptitudes industrielles,