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Malheureusement le lieutenant-général devenait souvent un potentat non moins à craindre que le gouverneur. Sully tint la main à l’exécution de l’ordonnance qui défendait aux gouverneurs de lever l’impôt autrement qu’au nom du roi ; mais sous la régence de Marie de Médicis les choses retombèrent dans l’état où elles étaient avant Henri IV, et, quand Richelieu prit la direction des affaires, les gouverneurs regardaient leur charge comme leur propriété, prétendant la transmettre à leurs enfans, et ne s’en laisser déposséder qu’en échange de dignités et de pensions considérables. » Richelieu, pour enlever aux gouverneurs leur puissance, leur opposa les intendans, auxquels il transféra l’administration des finances et des affaires intérieures de la province. Pour qu’un tel plan pût réussir, il ne suffisait pas que ces commissaires extraordinaires se rendissent de temps à autre sur les lieux, il fallait qu’ils y fussent toujours présens. Les intendans de justice, de police et de finances devinrent donc sédentaires : luttant pied à pied contre des grands seigneurs qui exerçaient en province une véritable vice-royauté, ils prirent peu à peu la haute main sur tout le gouvernement local ; ils resserrèrent même dans des limites plus étroites l’autorité militaire des gouverneurs, de façon à la subordonner complètement au pouvoir royal, surtout au secrétaire d’état de la guerre, devenu le surintendant de toutes les affaires militaires, et à l’action duquel tout ce qui concernait l’armée commençait à être rapporté.

La tâche était difficile ; l’importance des gouvernemens de province les avait fait généralement confier à des princes, à de très puissans personnages. Il n’y avait pas d’ailleurs seulement à lutter contre eux ; sous leurs ordres ou à côté d’eux se trouvaient d’autres chefs militaires, gentilshommes de haute naissance, à savoir : les gouverneurs de places fortes, qui avaient succédé aux anciens châtelains, les capitaines des résidences royales, qui avaient fait de leurs commandemens de petits gouvernemens. Les intendans n’étaient que des hommes d’origine bourgeoise, sortis pour la plupart de la magistrature, cette classe qui commençait à constituer la noblesse de robe, devant laquelle passa toujours la noblesse d’épée ; mais ils avaient pour eux l’appui du roi et de ministres aussi énergiques qu’un Richelieu ou aussi adroits qu’un Mazarin, aussi tenaces qu’un Colbert. La royauté mit en pratique son procédé habituel : elle soutira pour ainsi dire l’autorité des gouverneurs en la faisant d’abord passer aux lieutenans-généraux, qui eurent pendant quelque temps l’intérim du commandement, et finirent par l’exercer d’une manière permanente. Une fois que ces lieutenans-généraux, qui étaient dans le principe au choix du gouverneur, eurent confisqué à leur profit l’autorité militaire dans la province, de roi s’en attribua la nomination ;