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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/953

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donner ses ordres. Il fit prendre les vaisseaux désemparés à la remorque par le Breslau et par le Trident, et l’escadre ainsi accouplée alla jeter l’ancre dans la baie de Cervi, rade la plus voisine, mais d’une sûreté douteuse. On devine aisément l’affliction de ce commandant en chef subitement privé de la moitié de ses ressources. L’amour-propre national surtout se sentait chez lui cruellement froissé. « Nous venions de convenir, écrivait-il au ministre, l’amiral anglais et moi, de nous rejoindre avec toutes nos forces devant Navarin le 14 de ce mois. Quelle étrange figure nous ferions et à quels commentaires ne prêterions-nous pas, si, par suite de ces avaries, il m’était impossible de remplir pour ma part cette convention ! Quel parti les Turcs n’en pourraient-ils pas tirer ! Je n’insiste pas ; je n’ai à me plaindre que du sort. »

Il fit mieux en effet que se plaindre ; il déploya, pour réparer ce coup fatal, une activité prodigieuse. Au moment même où il terminait son rapport, la frégate l’Armide, qu’il avait laissée en observation devant Navarin, accourait lui apprendre que trois vaisseaux, neuf frégates, trente autres bâtimens, tous corvettes ou bricks, avaient quitté le port et se dirigeaient probablement vers le golfe de Patras, où opérait en ce moment le capitaine Hastings. « Forcé de disposer pour les convois et la correspondance des petits bâtimens, privé des services de deux vaisseaux par un malheureux abordage, je suis peu en mesure, écrivait l’amiral de Rigny, d’arrêter la flotte turque. La Magicienne, que j’ai envoyée à Alexandrie, me demande des renforts. Tous les consuls, effrayés des conséquences d’une hostilité, réclament à grands cris des bâtimens. Il m’est impossible de satisfaire à tout, d’être partout à la fois. Des circonstances aussi extraordinaires et aussi peu précises sont plus fortes que les hommes. Je vais me porter cependant avec le Breslau, le Trident et la Sirène à la suite des Turcs, qui vont sans doute entrer dans le golfe de Lépante. Je serai rejoint par l’Armide et par la Junon. » Expédiée de la rade de Cervi le 4 octobre, cette dépêche était à peine en route que l’amiral s’effrayait de la responsabihté qu’il allait encourir en prenant seul l’initiative d’une démarche hostile. Le premier coup de canon ne devait être tiré, suivant lui, que par les trois escadres combinées. Il se résignait donc à laisser à la flotte d’Ibrahim, qui aurait eu d’ailleurs sur sa division une trop grande avance, la liberté de poursuivre sa route, et ne s’occupait plus que de mettre ses navires désemparés en état de reprendre la mer dans le plus bref délai possible. La Provence, des deux vaisseaux celui qui avait le plus souffert, échangea son grand mât pour le tronçon qui restait au Scipion. On la mit ainsi en mesure de regagner, sous des mâts de fortune, le port de Toulon, et, grâce au sacrifice qu’on lui imposa, on put faire rentrer en ligne le