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UN VOYAGE

DANS

L’INTÉRIEUR DU JAPON


I.
Yeddo, 6 septembre 1873.

Lorsqu’on a quelque temps vécu au Japon, forcé de se mouvoir dans les limites assignées aux étrangers autour de chaque port ouvert, on se sent pris d’un irrésistible désir de franchir ces barrières artificielles fixées par le tract limited, de pénétrer plus avant et de visiter à l’aise les mystérieuses contrées du Nippon. On se dit instinctivement, ce qui est vrai, que les habitans des villes ouvertes ont perdu, au contact des étrangers, quelque chose de leur originalité, et on voudrait voir de près ces populations primitives que n’a pas encore atteintes le mouvement de réforme qui se prépare autour d’elles ; mais l’absence complète de moyens de transport publics, l’impossibilité de trouver sur tout le parcours un lit, une chaise, une nourriture qui puisse être digérée par d’autres estomacs que ceux des naturels du pays[1], et par-dessus tout la difficulté d’obtenir du gouvernement l’autorisation nécessaire pour franchir les limites, voilà des obstacles sérieux faits pour ébranler des touristes même intrépides, et qui expliquent, je crois, la monotone ressemblance de tous les récits sur le Japon, écrits par des

  1. Voici le menu invariable qu’on trouve dans toutes les tchaïas (auberges) : tranches de poisson cru accompagnées de shoya, morceaux de poisson bouilli avec des tiges de tserchi cuites à l’eau, — omelette à l’huile de poisson, le tout servi dans le même plat, — radis blancs pourris dans la saumure ; — en guise de pain, du riz cuit à l’eau, et comme boisson du saki (eau-de-vie de riz) coupé d’eau.