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I. — le delta du rhône.

À Arles, le niveau moyen du Rhône n’est plus qu’à 1m,04 au-dessus du niveau moyen des eaux de la mer. Près de cette ville, le fleuve se divise en deux branches dont l’une, occidentale, plus petite et au cours sinueux, passe à Saint-Gilles et se jette dans la Méditerranée, près des Saintes-Maries : c’est le petit Rhône ; l’autre, orientale, plus considérable, continuant le cours du fleuve, va directement à la mer en s’inclinant à l’orient[1]. L’espace triangulaire compris entre les deux bras du Rhône et la mer se nomme l’île de la Camargue ; c’est l’œuvre géologiquement récente des apports du Rhône. Le cours de ce fleuve n’a pas toujours été tel que nous le voyons aujourd’hui ; il a varié même dans les temps historiques. À chaque crue considérable, des bras nouveaux se sont détachés : l’un d’eux passait au XIIIe siècle à Aigues-Mortes, et ces bras, inclinant tous vers l’ouest, ont formé la petite Camargue, qui s’étend des Saintes-Maries à Aigues-Mortes et complète le grand delta du Rhône, dont la base est tout le littoral compris entre le promontoire de Cette et le village de Fos, non loin de Marseille.

La Camargue entière est formée de limon ; aucune roche n’y fait saillie, pas une pierre, pas un caillou ne gît à la surface du sol, et en effet le cours du Rhône est tellement ralenti à partir de Beaucaire qu’il ne peut plus entraîner les cailloux qu’il charriait jusque-là ; à partir d’Avignon, ils diminuent de nombre et de grosseur, et à Arles les rives du fleuve sont uniquement composées de sable fin. Par un contraste frappant, tout le pays qui entoure la Camargue, soit à l’ouest de Beaucaire jusqu’à Montpellier ou à l’est de Tarascon à Fos, est couvert de cailloux roulés provenant des Alpes. La Crau, le Campus lapideus des Romains, que le chemin de fer de Paris à Marseille traverse entre les stations d’Arles et de Miramas, est le spécimen le mieux caractérisé de cette formation, soit par le nombre, soit par la grosseur des cailloux qui recouvrent entièrement le sol sous-jacent et donnent au voyageur emporté par la vapeur l’idée erronée d’une incurable stérilité. Géologiquement parlant, la dispersion de ces cailloux alpins dans le bassin du Rhône est un événement récent, conséquence de la fusion des glaciers qui comblaient les vallées alpines ; cependant la formation de la Camargue est encore plus récente, c’est un dépôt d’alluvion qui se continue sous nos yeux et dont les monumens de l’antiquité et du moyen âge nous permettent de suivre et de mesurer les progrès. À une époque chro-

  1. Voyez la feuille d’Arles, n° 234 de la carte de l’état-major, ou la Carte géologique du Gard, par M. Émilien Dumas (1850).