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des Russes fera à l’orthodoxie une large part dans ces conquêtes.

Ses fidèles ne sauraient le nier, cette grande église n’a pas dans l’histoire de la civilisation tenu une place comparable à celle du catholicisme latin. A cet égard, il y a eu une fâcheuse coïncidence entre l’église orthodoxe et la race slave. Notre culture européenne se fût aisément passée de l’une comme de l’autre, tandis qu’on ne saurait, sans la mutiler, lui retrancher la part des protestans ou des catholiques, des peuples germains ou des latins. Cette frappante infériorité, dont la Russie a doublement souffert, est-elle réellement le fait du culte ou de la race? En Occident, catholiques et protestans ont souvent cherché dans l’orthodoxie byzantine la principale raison du retard des peuples de l’est sur ceux de l’ouest de l’Europe. On a vu dans cette église un principe d’arrêt et d’engourdissement ; on a fait de cette forme orientale du christianisme une sorte d’islamisme stationnaire frappant d’immobilité les peuples qu’il retenait en ses liens. Dans cette question, on semble avoir pris l’effet pour la cause ; on a oublié que les religions n’agissaient point sur un milieu inerte, et que, si les peuples sont souvent formés par leurs cultes, les cultes sont encore plus souvent ce que les peuples les font. Est-ce la foi de Byzance qui, comme on l’a dit, a momifié l’Orient, ou le génie oriental qui a pétrifié l’orthodoxie grecque? Est-ce bien l’église qui a entravé la civilisation du Russe, du Bulgare et du Serbe? Ne serait-ce pas l’infériorité ou l’infortune de ces peuples qui a fait celle de l’église? A nos yeux, ce sont des influences extérieures indépendantes de la religion comme de la race qui ont le plus contribué à retenir les nations orthodoxes dans une culture plus primitive et plus lente. La longue stérilité de l’église tient de la stérilité des peuples, et l’une comme l’autre vient des lacunes de leur éducation séculaire. La faute vulgairement attribuée à l’église orientale doit, pour la plus grande partie, être rejetée sur les destinées politiques de ses enfans, sur une histoire tourmentée, incomplète et comme tronquée, et à son tour la faute de l’histoire retombe sur la géographie, sur la position de toutes ces nations orthodoxes aux avant-postes de la chrétienté, dans les régions de l’Europe les moins européennes et les plus exposées aux incursions de l’Asie. A Byzance comme aujourd’hui en Russie, le principe des maux dont souffrit l’église fut plutôt politique que religieux. Au lieu de créer le despotisme stationnaire du bas-empire, l’orthodoxie en fut la première victime. Le schisme des deux églises accrut le mal en séparant l’Orient de l’Occident, où l’élément classique et l’élément barbare s’étaient mieux fondus. L’isolement géographique fut aggravé de l’isolement religieux. Abandonnés de l’Occident, parfois même assaillis par lui, les peuples du rite grec succombèrent