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de police; il arrêtait les passans pour leur faire réciter les prières du Koran, et quiconque manquait de mémoire était puni du fouet ou de la prison. Non content de la réputation de sainteté qu’il s’était acquise, Masoum voulut aussi se couvrir de gloire militaire. Au surplus, les Persans chiites lui offraient l’occasion de satisfaire les armes à la main ses passions religieuses. N’était-ce pas une œuvre méritoire de combattre des hérétiques? Depuis longtemps déjà, les bandes turcomanes insoumises avaient pris l’habitude de piller les villages frontières du Khorassan : elles levaient des contributions de guerre sur ces populations mal défendues par les shahs de Perse, et leur enlevaient de nombreux prisonniers, revendus ensuite à vil prix sur les marchés de Bokhara. Deux villes fortes, Merv et Meched, résistaient seules à ces brigands. L’émir, à la tête d’une armée d’Ousbegs et de Turcomans, s’empara de Merv après un long siège, dévasta la ville et ses environs, et repartit emmenant avec lui toute la population. Cette cité, où l’industrie persane était florissante, ne s’est jamais relevée de ses ruines, qui ne sont plus occupées maintenant que par des nomades de la steppe. Les marchés de l’Asie centrale furent alors tellement encombrés d’esclaves qu’ils ne se vendaient plus que 1 franc par tête. Meched sut résister au vainqueur; mais depuis cette invasion calamiteuse la paix ne s’est pour ainsi dire pas rétablie entre les Persans et les Bokhariotes.

Après le successeur de Masoum, l’émir Saïd, dont le règne de vingt-trois ans n’est marqué par aucun événement, Nasroullah-Khan monta sur le trône en 1826. Il n’y arrivait pas naturellement, dit-on. Assassin de son père, qu’il avait empoisonné, de ses frères aînés, auxquels il arrachait la couronne à main armée, après s’être emparé de vive force de Bokhara, qui lui résista quarante jours et ne se rendit que faute de vivres, Nasroullah commença par mettre à mort ses plus jeunes frères avec un grand nombre de leurs adhérens. Il savait par expérience quels implacables ennemis tout souverain musulman rencontre dans sa propre famille. La place ainsi dégagée, il fit preuve d’abord d’un grand zèle pour le bien-être de ses sujets, à tel point que l’Anglais Burnes, qui fit à ce moment le voyage de Bokhara, en revint émerveillé. Cette période de modération ne fut pas de longue durée; il se débarrassa bientôt par l’exil ou par la mort des grands personnages de l’état qui l’avaient aidé à s’emparer du pouvoir, puis il ne s’entoura plus que d’aventuriers aussi malfaisans et débauchés que lui-même. Un brigand turcoman fut plusieurs années durant chef de la police, c’est-à-dire maître de la vie et de la fortune de chacun. Un Persan, expulsé de son pays pour divers crimes, qui avait ensuite séjourné quelque temps dans l’Inde et y avait acquis quelques notions d’art militaire, devint de simple instructeur le grand-maître de l’armée bokhariote. Dès lors