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les plus grossières, des climats les plus désolés, ne les quittent qu’avec chagrin. M. Foissac rapporte qu’un Lapon amené en Pologne, où il était entouré de soins, fut pris d’une tristesse insurmontable et finit par se sauver pour regagner son inclémente patrie. Des Groënlandais qui avaient été transportés en Danemark bravèrent une mort certaine en s’exposant dans de frêles canots pour traverser la mer qui les séparait de leur pays. Des faits analogues ont été observés parmi les Indiens de l’Amérique du Nord. Alibert cite l’histoire d’une jeune Indienne, Couramé, recueillie dans une forêt, puis adoptée par une famille opulente. « Ramenez-moi, s’écriait-elle, ramenez-moi au pays où je suis née ! Oh ! ma mère, suis-je donc oubliée de toi ? » Couramé languissait, se desséchait. Un beau jour, ayant aperçu des Indiens de sa tribu, elle s’enfuit avec eux. — Singulière affinité que cet attachement invincible de l’homme pour le sol, le ciel, les aspects de la région circonscrite où s’est écoulée son enfance ! Quel argument contre nos philosophes internationaux et humanitaires !

Qu’est-ce donc que cette singulière maladie? La plupart des médecins en ont fait une variété, une forme de la folie, une sorte de manie ou de mélancolie. M. Benoist de La Grandière ne la considère pas ainsi; il y voit une névrose des organes de l’imagination et de la mémoire. Les différences fort nettes qu’il établit entre la nostalgie et les autres genres de démence justifient sa manière de voir. En effet, le nostalgique n’a pas d’idées insensées ou extravagantes comme les fous. Il ne s’imagine pas être possédé du démon, ni changé en loup ou en chien. Il n’est pas dominé, comme les mélancoliques, par la crainte ou la terreur d’un mal imaginaire. D’autre part les maniaques et les hypocondriaques se portent bien en général; malgré le désordre de leurs idées, ils conservent leurs forces et leur embonpoint. La tristesse profonde du nostalgique a au contraire pour premier résultat d’altérer chez lui les fonctions nutritives, et de provoquer des perturbations souvent mortelles. Les états divers de démence sont héréditaires, la nostalgie ne l’est jamais. Enfin ce qui caractérise surtout cette affection, c’est qu’on peut la guérir à coup sûr quand les troubles qu’elle a déterminés n’ont pas encore compromis la santé ; il suffit de rendre le nostalgique à sa famille. Au contraire essayez de satisfaire les idées de grandeur ou de richesse d’un fou ambitieux, le trouble de sa raison, loin d’en être diminué, ne fera que s’accroître.

Quoi qu’il en soit, il n’y a qu’un moyen de guérir cet infortuné que l’amour du pays dévore et tue, c’est de le renvoyer dans son pays. Quand un tel remède n’est pas possible, et malheureusement il ne l’est pas souvent, la thérapeutique de la nostalgie se réduit à des palliatifs purement moraux et hygiéniques. Tout d’abord le devoir des médecins, partout où les causes de nostalgie semblent imminentes, est d’agir de