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de meilleure défense, confisqua sa suprématie ; aux époques plus pacifiques, il s’est trouvé trop loin des élémens de travail, et la vie s’est écoulée vers Saint-Étienne ; enfin, lorsque les anciennes divisions territoriales ont été abolies et que la vie générale a succédé à la vie locale, Feurs, si bien fait pour servir de centre à une population ramassée en tribu provinciale, s’est trouvé moins bien situé que Roanne pour servir d’entrepôt et d’intermédiaire au commerce. Pour retrouver Feurs dans tout son éclat, il faut remonter jusqu’à l’époque romaine, car c’est alors seulement qu’il a profité de tous les avantages de sa situation. Forum Segusianorum s’appelait-il à cette époque, le grand marché des Ségusiens, le lieu de foire central de toute cette région. Tout déchu qu’il est, Feurs n’en a pas moins la gloire d’avoir étendu son nom à toute la province qu’il commandait jadis, car ce même mot de Forum, qui par corruption est devenu Feurs, par une autre altération plus facile encore à saisir que cette première, a donné le nom de Forez, étymologie fort évidente, et sur laquelle pourtant les anciens érudits se sont trompés jusqu’au jour où elle fut mise en lumière par la sagacité d’Honoré d’Urfé, qui avait étudié non-seulement en poète, mais en critique, les origines et les antiquités de sa province natale. Naguère encore l’église de Feurs renfermait scellé dans un de ses murs un curieux souvenir de cette lointaine époque, une pierre gravée d’une inscription latine dédiée par les maîtres charpentiers au dieu Sylvain, patron naturel des charpentiers en sa qualité de dieu des forêts. Voilà une inscription qui n’aurait pas manqué de fournir à l’antiquaire de Walter Scott une preuve décisive que, cette province abondant plus particulièrement en bois, c’était bien dans la traduction française du mot latin sylvœ qu’il fallait chercher l’étymologie du nom de Forez. Et que de preuves il aurait pu citer à l’appui de cette opinion ! Par exemple, les écussons héraldiques de la province à la Diana de Montbrison ne présentent-ils pas les figures de faunes et d’hommes sauvages, habitans naturels des forêts? Malheureusement pour cette opinion, l’art héraldique ne s’est avisé de ce calembour que parce que le mot était déjà créé et qu’il se prêtait de lui-même au double sens. L’église de Feurs ayant été réparée il y a déjà un certain nombre d’années, cette pierre en fut retirée sans doute pour lui épargner cette toilette du badigeon qui a recouvert tant de souvenirs intéressans, et elle est aujourd’hui déposée dans une salle du petit hôtel de ville, destinée à recevoir un musée lapidaire. Il est bien vrai qu’une inscription au dieu Sylvain était singulièrement placée dans une église chrétienne, et cependant je regrette qu’elle en ait été enlevée. Dans un musée, ce n’est plus qu’une inscription latine, souvenir mort d’une société