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menace à la société moderne. La liberté religieuse existe en Suisse pour les églises séparées de l’état avec des garanties que nous ne possédons pas en France : toute opinion qui n’est pas contraire à l’ordre public peut se produire sans dépendre du bon plaisir de l’administration. Il y a dans cette tolérance une atténuation fort heureuse de la situation très dure faite dans plusieurs cantons aux églises nationales, qu’elles soient catholiques ou protestantes, car la lourde main du pouvoir civil s’est aussi bien appesantie sur les secondes que sur les premières partout où des conflits ont éclaté.

Ce sont ces conflits qu’il s’agit d’apprécier en connaissance de cause et avec équité. Une critique malveillante serait une ingratitude odieuse de la part d’un Français; comment oublier l’hospitalité généreuse et cordiale que notre armée mutilée de l’est a trouvée de l’autre côté du Jura au foyer même des citoyens? Les souvenirs de jours pareils sont ineffaçables. La république helvétique possède encore toutes les grandes vertus qui l’ont maintenue jusqu’à présent. L’ordre y est partout respecté sans que la liberté de la presse ou de réunion y subisse aucune atteinte. Le travail opiniâtre qui constitue l’épargne et avec elle l’indépendance n’est point ralenti par une vie politique ardente à laquelle prennent part tous les citoyens. Le patriotisme domine les divergences de parti, et attache avec une sorte de passion les fils de la Suisse à une terre parée des magnificences de la création. Néanmoins ce qui se passe à cette heure chez nos voisins ne saurait nous laisser indifférens. Les questions qui s’y agitent nous pressent nous-mêmes; le conflit entre le pouvoir civil et l’ultramontanisme n’est retardé chez nous que par une trêve éphémère. Il importe de recueillir les leçons salutaires que nous donnent à cet égard les événemens contemporains, et de faire ressortir les périls qui résultent de l’immixtion du pouvoir civil dans le domaine religieux, non-seulement quand il parle au nom d’une vieille royauté, comme en Prusse, mais encore quand il se pose comme l’organe et le serviteur de la volonté populaire. Quatre-vingts ans après la révolution française, nous assistons à une nouvelle expérience de la politique religieuse qui a si gravement compromis l’œuvre de la grande constituante de 1789.


I.

La crise ecclésiastique qui a éclaté en Suisse et qui vient de provoquer de si importans débats constitutionnels à Berne ne date pas d’hier. La Suisse était vouée aux luttes confessionnelles par le mélange même des races dont elle se compose. C’est une sorte d’Europe en miniature, qui trouve son lien d’unité dans la confédération