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sur Verdun, franchissait la Meuse, poussant sa cavalerie sur la route de Sainte-Menehould à travers l’Argonne, le prince royal de Prusse s’était avancé de son côté vers la Marne, envoyant des partis jusqu’à Vitry-le-Français. Ce qu’ils pouvaient rencontrer de résistance à Châlons ou sur un autre point, ce que nos généraux se proposaient de faire, les Allemands ne le savaient pas encore. La retraite sur Reims avait réussi à les tromper ou du moins à prolonger leur incertitude sur nos desseins. Le fait est que pendant deux jours la marche de Mac-Mahon vers le nord leur avait complètement échappé. Ce n’est que le 25 qu’ils commençaient à démêler la vérité. Ils l’apprenaient par les cavaliers du prince Albert qui dépassaient le camp de Châlons évacué et incendié, par les éclaireurs du prince de Saxe qui battaient l’Argonne, surtout peut-être par des journaux de Paris, dont les légères et coupables indiscrétions les mettaient sur la voie. Aussitôt l’état-major-général du roi, qui était à Bar-le-Duc le 25, prenait son parti, et, avant que le soir fût passé, il avait arrêté ses résolutions : il suspendait le mouvement sur Paris pour rejeter par une grande conversion l’armée du prince royal et l’armée du prince de Saxe sur Mac-Mahon. À ce moment, la IIIe armée était entre Bar-le-Duc et Châlons, à plus de 80 kilomètres de la ligne de marche des corps français ; l’armée de la Meuse, bien que plus rapprochée de nous, était encore, au moins en partie, à plus de 50 kilomètres : il suffit de rapprocher les dates et les positions pour voir ce que pouvaient nous coûter des lenteurs inévitables peut-être, dans tous les cas désastreuses.

Rien n’était certes plus audacieux que le mouvement résolu le soir du 25 août par les Allemands ; mais ils avaient l’orgueil du succès, une confiance doublée par la désorganisation croissante dont ils étaient les témoins. De plus, pour accabler cette armée de Mac-Mahon dont la marche, en les étonnant d’abord, les comblait de joie, ils avaient les huit corps du prince de Prusse et du prince de Saxe, représentant une force de 230,000 hommes au moins, et, comme si ce n’était pas assez, ils allaient détacher de l’armée d’investissement de Metz deux corps, le IIe et le IIIe, qui se portaient un moment dans la direction de Stenay, pour rentrer, à la vérité, presque aussitôt dans leurs lignes. Les Allemands avaient à l’appui de leur hardiesse l’avantage du nombre, c’est bien certain, ils étaient servis par nos hésitations, rien n’est plus clair. Tendre ce vaste filet destiné à se resserrer sur nous, faire arriver, à point nommé, presque à heure fixe, par des chemins différens, sans interruption et sans trouble, des forces si considérables concourant à une même action, tout cela n’était pas moins une opération de premier ordre, rappelant les plus puissantes combinaisons de Napoléon. Il faut savoir se dire que, si l’on a été vaincu, on l’a été par un