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siblement, avant d’aborder des discussions où cette majorité pouvait se diviser, soit ; c’était peut-être un excès de prudence qui, en ajournant les difficultés, ne faisait que les compliquer et les aggraver au lieu de les simplifier. Aujourd’hui il n’y a plus même moyen d’attendre. C’est une affaire de prévoyance politique, d’existence en face des polémiques et des contestations passionnées qui mettent en doute le caractère du gouvernement qu’on a voulu créer. De deux choses l’une : ou bien le pouvoir doit définitivement prendre corps, s’affirmer, se compléter par des institutions destinées à en assurer l’efficacité et l’indépendance, ou bien il n’est plus qu’une fiction, un pouvoir désarmé et sans force devant les partis qui affichent la prétention de le maintenir dans un rôle effacé et précaire. Il n’y a pour lui qu’une manière de répondre à cette prétention, c’est de vivre, et il n’y a qu’un tribunal qui puisse trancher le débat entre toutes les interprétations contradictoires, c’est l’assemblée. C’est à elle maintenant de dire si elle a entendu ne rien faire de sérieux, si ce qu’elle a fait elle veut par hasard le défaire aujourd’hui, ou si elle entend au contraire le confirmer, le compléter, le fortifier de façon à donner au pays un gouvernement véritable. Voilà la question qui ne peut plus rester en suspens, puisqu’elle a été posée, qui a été si altérée, si obscurcie, qu’il ne suffit plus pour la trancher d’une circulaire ou de quelques « communiqués » ministériels.

Si les légitimistes que l’élection de 1871 a envoyés à l’assemblée, qui passent aujourd’hui leur temps à embarrasser le gouvernement, sont la majorité, comme ils le disent sans cesse, et peuvent faire la monarchie, qu’ils produisent cette majorité et qu’ils rétablissent la monarchie. Si, à défaut d’une majorité dans l’assemblée, ils croient que le pays est avec eux et n’aspire qu’à voir arriver M. le comte de Chambord sous les plis du drapeau blanc, qu’ils fassent appel au pays. Ce sera prudent ou imprudent, personne dans tous les cas ne pourra s’en étonner, ce sera l’œuvre d’un parti soutenant sérieusement ses opinions et se servant de tous les moyens avouables pour les faire triompher. Ce qui n’est pas sérieux, c’est de dire plus ou moins directement : Nous n’avons pas la majorité, nous ne pouvons pas faire la monarchie, c’est vrai, et nous ne consulterons pas le pays, parce qu’il est probable que le pays, qui nous a élus une première fois, ne renouvellerait pas notre mandat ; mais nous avons été nommés « dans un jour de malheur, » comme disait cet infortuné Beulé, et, si nous ne pouvons pas réunir une majorité pour rétablir la royauté, nous sommes assez nombreux pour empêcher tout ce qui ne sera pas la monarchie. Nous forcerons les ministères à compter avec nous ; nous maintiendrons un provisoire indéfini, au risque d’épuiser les forces de la nation. En attendant, nous ferons des pèlerinages, en répétant chaque jour à la France qu’elle n’a que le choix entre le suicide et une amende honorable devant son