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désespoirs, nos doutes ; mais, lorsque, nous traînant des sommets aux abîmes, tu nous tiens suspendus entre deux infinis, tu crois que tu n’as plus qu’à dévoiler la foi pour nous voir tomber anéantis sur son sein ! Tu t’es trompé, Pascal !

Quand de son Golgotha, saignant sous l’auréole,
Ton Christ viendrait à nous, tendant ses bras sacrés,
Et quand, il laisserait sa divine parole
Tomber pour les guérir sur nos cœurs ulcérés,
Quand il ferait jaillir devant notre âme avide
Des sources d’espérance et des flots de clarté,
…………..
Nous nous détournerions du tentateur céleste,
Qui nous offre son sang, mais veut notre raison.
Pour repousser l’échange inégal et funeste,
Notre bouche jamais n’aurait assez de « non ! »
Non à la croix sinistre et qui fit de son ombre
Une nuit où faillit périr l’esprit humain,
Qui, devant le progrès se dressant haute et sombre,
Au vrai libérateur a barré le chemin !
Non à cet instrument d’un infâme supplice
Où nous voyons, auprès du divin innocent
Et sous les mêmes coups, expirer la Justice ;
Non à notre, salut, s’il a coûté du sang ;
……… Non même à la victime
Et non par-dessus tout au sacrificateur !

Eh quoi ! peut-on croire qu’il est un Dieu, qu’il dispose de la force infinie, et qu’il assiste aux jeux sanglans de l’arène humaine, imposant le massacre, infligeant l’agonie ? Faudra-t-il donc saluer ce dieu cruel comme le gladiateur mourant saluait césar ? S’il existe, forçons-le par nos anathèmes à révéler sa puissance immorale et à nous écraser :

Qui sait ? nous trouverons peut-être quelque injure
Qui l’irrite à ce point que, d’un bras forcené,
Il arrache des cieux notre planète obscure,
Et brise en mille éclats ce globe infortuné.
Notre audace du moins vous sauverait de naître,
Vous qui dormez encore au fond de l’avenir,
Et nous triompherions d’avoir, en cessant d’être,
Avec l’humanité forcé Dieu d’en finir.
Oh ! quelle immense joie après tant de souffrance !
A travers les débris, par-dessus les charniers,
Pouvoir enfin jeter ce cri de délivrance :
Plus d’hommes sous le ciel, nous sommes les derniers !


À ces accens désespérés, vouant le monde au néant et condamnant les générations futures à ne pas naître, on croirait entendre un disciple de Schopenhauer. Le monde est aussi mauvais que possible, et