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d’horrificques vieilles, les unes aux dos montueux comme des tertres mal formés, les autres aux jambes inégales, celles-ci chassieuses, celles-là roupieuses, toutes édentées par l’âge, avec une conscience scrupuleuse. Pour en faire une à peu près présentable, il en aurait fallu prendre au moins cinq ou six, et encore aurait-on pu dire avec Régnier que la matière aurait manqué à l’ouvrage. Un Romain aurait regardé une telle aventure comme un présage sinistre et serait précipitamment rentré chez lui ; je n’ai pas poussé si loin la superstition ; cependant je n’ai pu m’empêcher de penser, en voyant tant de prototypes parfaits de la sibylle de Panzoust, que les anciens procès de sorcellerie étaient peut-être fondés en raison. Enfin, au moment où j’allais m’éloigner de Boën, je réussis à rencontrer trois ou quatre visages de jeunes filles qui, sans être d’une beauté exceptionnelle, sont accueillis par mes yeux avec une vivacité de joie qu’ils n’avaient jamais ressentie à ce degré. S’il m’est permis d’en juger par ces rares échantillons, la population de Boën conserve en effet encore son type gallo-germanique originel ; voilà bien ce long et doux profil qui fait ressembler les jolies Allemandes à des brebis sentimentales, cet air de visage intéressant et cette grâce paisible qui ont fait faire d’imagination des poètes tant de rêves de clair de lune. En les voyant, ma mémoire m’a spontanément présenté certaines figures de jeunes filles dans des cartons qu’Overbeck a exécutés à Rome pour k maison de campagne de sa fille adoptive. C’est exactement le même type et le même genre de grâce ; or Overbeck, étant Bavarois, était Boïen d’origine comme mes jeunes Forésiennes.

Heureusement la nature avait à m’offrir une ample compensation pour cette mésaventure ; le plus beau paysage qu’il y ait en Forez se rencontre précisément à mi-route entre Montbrison et Boën : une vaste plaine fraîche et verte, et, aux deux flancs de cette plaine, deux collines isolées qui se fiant face. Sur la plus rapprochée, un village s’étage à mi-hauteur au-dessus des restes d’un château, qui sont considérables, et dont la maçonnerie décrit tant de circuits qu’il semble voir les ruines d’une miniature de quelque Ecbatane aux sept enceintes. ; l’autre se couronne à son sommet d’une ancienne église abbatiale dont la carcasse extérieure, encore intacte, trompant l’imagination, en même temps que les yeux, dissimule que cet édifice apparent n’est que le tombeau d’un souvenir. Ainsi placées l’une en face de l’autre, les deux collines ont l’air de deux rivales en présence qui font assaut de beauté et déploient toutes leurs ressources pour attirer chacune à son profit exclusif l’attention du contemplateur, qui va en effet de l’une à l’autre en regrettant toujours celle qu’il quitte. Le village aux ruines féodales de la première colline, c’est Marcilly ; l’abbaye de la seconde, c’est