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aujourd’hui[1], apportait son concours à la royauté nouvelle pour l’établissement d’un gouvernement capable de résister aux dangers que porte en elle toute révolution, quelque légitime qu’elle soit ; mais la tentative contre-révolutionnaire et insensée du roi Charles X venait de semer le germe de l’anarchie sur le sol de la France, toujours trop bien préparé pour elle, et ce germe ne tarda pas à se développer de toutes parts avec ses fruits les plus amers. Le ministère du 9 août 1830 contenait d’ailleurs en lui-même des causes de faiblesse et d’impuissance qui devaient profiter à ce développement en paralysant l’action du gouvernement. Les divers groupes de l’opposition libérale sous la restauration y avaient tout naturellement pris place et y étaient représentés par leurs chefs principaux. Tous siégeaient dans les conseils de la royauté nouvelle avec l’intention la plus sincère de la soutenir loyalement, mais aussi avec des vues très différentes sur la marche à imprimer à l’administration et à la politique du gouvernement. De là des défiances et des tiraillemens intérieurs qui se traduisirent presque aussitôt au dehors en agitation des esprits et en désordres publics.

C’est ainsi qu’à peine constitué le gouvernement fut impuissant à contenir les passions populaires, dont le coupable aveuglément s’en prit tout d’abord aux choses sacrées, sous l’influence d’une réaction aveugle contre le déplorable système qui, pendant la restauration, avait de plus en plus compromis le clergé en mêlant à tous les degrés la religion à la politique. A Reims, la ville du sacre de Charles X voit ses croix renversées et l’archevêque[2] outragé en présence de la garde nationale inerte et partageant en grande partie les passions qu’elle devait réprimer ; à Nancy, une foule en délire profane les objets sacrés, se porte sur l’évêché et menace la vie de l’évêque[3], qui ne trouva son salut que dans la fuite ; à Orléans, à Chartres, à Nevers, à Bourges, à Niort, à Narbonne, à Toulouse, on retrouve les mêmes scènes anarchiques et irréligieuses, qui devaient se reproduire quelques mois plus tard à Paris sous le coup d’une regrettable provocation légitimiste. Sous les yeux mêmes du gouvernement, fatalement embarrassé dans son action, de nombreux clubs populaires s’étaient ouverts où des

  1. Voici en quels termes s’exprimait M. le duc de Fitz-James devant la chambre des pairs, tout émue de ces nobles paroles : « En ce moment, je ne suis que Français, et je me dois tout à mon pays ; c’est à la grande considération de son salut que je sacrifie tous les sentimens qui depuis cinquante ans m’attachaient à la vie. C’est elle qui, agissant en moi avec une violence irrésistible, m’ouvre la bouche pour prononcer le serment que l’on exige de moi. » (Séance du 10 août 1830.)
  2. Le cardinal duc de Latil, ministre d’état et pair de France ; il se réfugia en Angleterre.
  3. Le comte de Forbin-Janson, primat de Lorraine ; il se réfugia en Amérique.