Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commode ; mais la haute raison du roi n’hésitait pas. Elle le poussait invinciblement, au nom de l’intérêt de la France et malgré l’absence de toute intimité antérieure, vers un ministre dont il différait autant par le caractère que par les habitudes de l’esprit, et dont il connaissait comme tout le monde l’indépendance un peu hautaine et la liberté de langage, souvent empreinte d’une certaine rudesse.

Le choc de ces deux natures absolument diverses rompit plus d’une fois les négociations qui précédèrent la formation du ministère Perier ; mais, par une juste appréciation des forces complémentaires qu’ils s’apportaient réciproquement, le roi constitutionnel et le futur président de son conseil se trouvaient incessamment ramenés l’un vers l’autre, et finirent par contracter une union de raison, devenue chaque jour politiquement plus confiante, si ce n’est personnellement plus intime. C’est à cette union que la monarchie de juillet a dû, pendant les temps les plus troublés de son établissement ; de donner le grand spectacle d’une double victoire remportée sur les passions de la démagogie ; elle triomphe de ses agitations à l’intérieur, comme de ses appels à la propagande et à la guerre à l’extérieur, sans recourir à une seule loi d’exception, sans employer d’autres armes que celles du droit commun.

Casimir Perier avait longtemps résisté aux instances de ses amis politiques avant de se décider à accepter le fardeau du pouvoir que rendait si lourd pour lui non-seulement la gravité des circonstances, mais aussi l’état de sa santé profondément altérée. Quand il rentrait dans son intérieur, il y retrouvait les prières de sa femme et d’une partie de sa famille, lui rappelant avec une sollicitude pleine d’angoisse ses souffrances et l’arrêt des médecins, qui ne leur reconnaissaient qu’un remède, le calme et la libre disposition de ses journées ; de ses distractions et de ses travaux ; mais le sentiment d’un grand devoir à remplir compensait largement dans son âme les pronostics menaçans de la science. De toutes parts en effet, au dedans comme au dehors, il ne voyait que difficultés, sans se faire illusion sur aucuns périls : il ne se faisait même pas illusion sur le sort qui l’attendait. « Vous le voulez, nous avait-il dit un jour que nous le pressions instamment d’entrer au ministère, vous le voulez, mais rappelez-vous que, si j’y entre, j’en sortirai les pieds les premiers. » Le 12 mars 1831, il nous répéta ces paroles, et le 13 il entrait au ministère. Tel se montra Casimir Perier le jour où il succédait à M. Laffitte : c’était, on peut le dire, un Romain qui se jetait dans le gouffre pour sauver Rome.

Toutefois, cédant en partie aux conseils de ses médecins et de sa famille, il avait accepté d’abord la pensée de ménager ses forces en