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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/448

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nous ne sommes pas des gens pratiques, nous sommes des poètes, nous voulons le mieux, la perfection, l’impossible peut-être ; n’importe, c’est notre honneur de le rêver, fût-ce à nos risques. Une compagne, notre égale en force et en raison, ne nous suffit pas, nous voulons un ange que n’ait effleuré aucune expérience humaine, qui n’ait jamais rien imaginé en dehors du premier amour que nous lui apportons presque son insu, nous réservant en tout de lui ouvrir et de lui faire goûter la vie, de la garder, de l’instruire, de la défendre. Serons-nous à la hauteur d’une si belle tâche ? Un héroïque orgueil ne nous permet pas d’en douter, Nous admettons bien que notre idole soit fragile, et elle ne nous en est que plus chère ; le bon sens est contre nous, mais nous dédaignons ses leçons en froide prose, et très probablement pour notre malheur nous les dédaignerons toujours. Aux Kate Coventry, il faut des cousins John.

Les héroïnes de M. Whyte Melville forment du reste un groupe charmant d’amazones, et c’est plaisir de les voir défiler de loin, leur jolie taille serrée dans un habit bien collant, le voile de leur petit chapeau tendu sur un visage dont l’éclat naturel défierait la rivalité de tous les cosmétiques, leurs cheveux d’or ou d’ébène nattés le plus près possible d’une petite tête élégante. Tout dans cet ajustement est utile, simple et commode, indiquant bien qu’elles font passer avant toutes choses le naturel, la santé, l’agilité. Le luxe est considéré par la plupart comme un superflu qu’elles gagneront peut-être à perdre, de même que certaines plantes vivaces gagnent en force et en parfum à être transplantées de la serre où elles se sont par hasard épanouies dans un sol qui n’ait rien d’artificiel. — J’aimerais épouser un homme pauvre, dit l’énergique lady Julia, — Voilà de généreuses fantaisies rares chez nous, on ne peut le nier. C’est lady Julia aussi qui prend avec un franc sourire les deux mains d’un amoureux qu’elle vient d’éconduire ; « Ne vous rendez pas ridicule, à quoi bon toutes ces paroles perdues ? Nous avons toujours été bons amis, nous resterons tels, je ne voudrais pas plus me disputer avec vous qu’avec mon frère ; mais allez-vous-en. Vous pouvez prendre votre cheval à l’écurie sans passer par le salon ; ainsi vous éviterez de voir ma mère, Laissez-moi arranger les choses avec elle, c’était mon goût qu’il fallait consulter d’abord, Dieu vous bénisse, et merci de l’honneur que vous ayez voulu me faire. » Rien n’exprime mieux que ce discours la présence d’esprit imperturbable et la pleine possession de soi-même.

Parmi toutes ces sœurs positives et pratiques de Kate Coventry, il en est une cependant à qui le sport est funeste et que la passion emporte au-delà de l’inévitable poteau du mariage, but éternel de toutes les autres, C’est la pauvre Blanche Douglas, Satanella, comme on l’appelle, dont la nom et la vie sont inséparablement liés à ceux