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contre les Achantis, ni de la famine de l’Inde, ni du danger des progrès de la Russie vers l’Afghanistan. La question qui vient de surgir, ou plutôt qui vient de reparaître avec un caractère plus aigu, est tout simplement le signe du travail profond qui s’accomplit dans la société anglaise. C’est une grève agricole des plus redoutables par les proportions qu’elle a déjà prises, par les conséquences qu’elle peut avoir, par les crises dont elle menace la propriété tout entière. Jusqu’à ces derniers temps, le mouvement par lequel la population ouvrière de l’Angleterre est arrivée à se constituer sous la forme d’associations, de trades-unions, pour défendre ses intérêts contre le capital, contre les patrons, ce mouvement était resté circonscrit dans la sphère de l’industrie, du travail de manufacture et d’usine. La population agricole, plus fixe, moins facile à grouper et à exciter, n’avait pris aucune part à cette agitation, et semblait indifférente. Maintenant elle entre à son tour dans le mouvement ; elle a son union, qui est de création assez récente, qui a noué aussitôt des rapports avec les autres associations ouvrières, de sorte que l’Angleterre est menacée de se voir enveloppée d’un réseau s’étendant à toutes les formes du travail.

Le premier symptôme de cette situation si nouvelle et si dangereuse apparaissait, il y a deux ans, par une grève qui éclatait tout à coup dans le comté de Warwick, et qui a été le vrai point de départ de l’association des ouvriers de la terre, constituée par les soins de M. Arch, sous le titre d’Union nationale des travailleurs agricoles. La grève d’aujourd’hui, dirigée par l’Union agricole, soutenue par les autres associations ouvrières de l’industrie, a pris naissance autour de Newmarket ; elle s’est étendue bientôt à certains districts des comtés de Suffolk, de Cambridge, de Lincoln. Rien n’est plus complexe d’ailleurs que cette question des salaires agricoles, qui varient nécessairement selon les contrées, qui s’élèvent à 18 shillings, — 22 francs 50 centimes, — par semaine dans le Lincolnshire, tandis qu’ils ne sont que de 10 shillings, — 12 francs 50 centimes, — à Newmarket. Une augmentation proportionnelle réclamée par les ouvriers ou par l’Union au nom des ouvriers, et refusée par les fermiers, est devenue le signal de la grève. Des milliers de travailleurs sont aujourd’hui inoccupés, attendant la capitulation des maîtres qu’ils espèrent lasser. L’Union pourvoit à leurs besoins en leur donnant 9 shillings par semaine. Les ouvriers de l’industrie, mis à contribution pour soutenir les grévistes de l’agriculture, fournissent une subvention considérable. On a cité le chiffre énorme de 25,000 livres sterling par semaine. Il y a déjà six semaines que cette crise dure, et la question ne cesse d’être ardemment agitée en Angleterre. Jusqu’ici rien ne laisse prévoir à qui restera la victoire ou quel moyen de conciliation mettra fin à la lutte. Les belligérans sont en présence. Les maîtres refusent de céder, les ouvriers persistent dans leurs prétentions et ne font rien ou émigrent. Le travail reste en suspens dans les contrées envahies par la grève.