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la guerre aux Atlantes. Enfin les quatre provinces des Enfers : l’Hadès, l’Érèbe, le Tartare et les Champs-Elysées, seraient quatre îles du groupe dont faisait partie l’Atlantide : ce sont des îles qui existent encore et qui dépendent de la presqu’île de Taman. En résumé, c’est dans le bassin de la Mer-Noire que M. Moreau de Jonnès place la source des traditions relatives à l’Atlantide et à des peuples préhistoriques d’une haute culture intellectuelle. Il apporte à l’appui de sa thèse une surabondance de preuves qui trahissent une érudition plus variée que sûre, à en juger par certaines étymologies fantaisistes qui traitent les mots comme des rébus proposés à la sagacité des peuples à venir ; mais, si sa thèse ne paraît pas définitivement démontrée, les rapprochemens ingénieux qu’il opère sont intéressans à suivre et peuvent être fort souvent justes.

M. Roisel s’attache au contraire à démontrer l’exactitude du récit qui, d’après Platon, aurait été fait à Solon par les prêtres de Saïs. « Près des bords de la mer Atlantique était une île, plus vaste que la Lydie et l’Asie, d’où il était facile de se rendre sur le continent. Il y avait là des rois célèbres par leur puissance, qui s’étendait sur les îles voisines, sur la Lydie jusqu’à l’Égypte, sur l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie ; mais il survint des tremblemens de terre et des déluges, et dans l’espace de vingt-quatre heures l’Atlantide disparut. » Le souvenir de ce cataclysme s’est conservé chez les peuples les plus divers ; tous ces témoignages attestent que l’Atlantique a englouti une vaste terre, dont les Açores, les Canaries, les Antilles, sont les derniers vestiges. Lors de la conquête du Mexique, les insulaires racontaient aux Espagnols que les Antilles n’avaient formé jadis qu’un seul continent ; une légende haïtienne attribue de même la formation des Antilles à une subite inondation. Enfin une légende de la tribu africaine des Amakona mentionne une catastrophe à la suite de laquelle la grande île de Kassipi disparut dans l’Océan.

Maintenant existe-t-il entre l’Europe et l’Amérique des traces d’un cataclysme récent ? On peut hardiment répondre par l’affirmative. Les cartes marines indiquent un vaste ensemble de bas-fonds délimité par les Açores, les Canaries, les Antilles et le gulf-stream. Les anciens navigateurs parlent d’immenses champs de plantes marines et d’innombrables écueils à fleur d’eau qui dans ces parages entravaient la marche des navires. La mer de Sargasse, telle que nous la connaissons, n’est apparemment qu’une faible réminiscence de cette mer boueuse, semi-liquide et semi-végétale, qui était peut-être la mer betée (mer figée) des poètes du moyen âge. La chute de l’Atlantide semblerait donc se continuer lentement ; le fond de l’Atlantique s’est graduellement abaissé, beaucoup d’écueils ont disparu, l’eau s’est clarifiée en déposant les limons dont elle était chargée. L’existence ancienne d’une vaste terre atlantique qui a formé un pont entre l’Amérique et l’Europe expliquerait aussi cette dispersion de la. faune et de la flore tertiaires qui embarrasse tant les paléontologues. Des botanistes éminens ont admis cette