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eût mises là tout exprès pour relier son œuvre à l’inspiration des divers artistes chargés des illustrations du texte, que je n’en serais pas étonné.

C’est qu’en effet tout se tient et marche d’ensemble dans cette publication où, pour la première fois, douze dessinateurs, et choisis parmi les plus habiles, se sont partagé la besogne que d’ordinaire un seul entreprend. Atteler à la même tâche, diriger vers le même but ces nombreux talens appelés des points les plus écartés de l’horizon, l’affaire était de conséquence, et le succès l’a couronnée. S’est-on concerté de l’un à l’autre ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, dans cette variété, beaucoup d’unité se laisse voir, et l’unité ainsi obtenue a quelque chose d’original qui plaît au goût. D’ailleurs, s’il fut jamais poète se prêtant à ces curiosités de mise en scène par lesquelles nous aimons à rajeunir nos vieux classiques, c’est assurément La Fontaine. La diversité même de ses sujets appelle la diversité d’interprétation, et la monotonie, bien plus que la trop grande variété, semblerait ici à redouter. À ce festin de l’illustration, les talens les plus étrangers les uns aux autres peuvent être conviés, et tandis que je me figure un Salvator brossant avec furie le Chêne et le Roseau, je vois Kaulbach modelant et groupant en masses épiques les Animaux malades de la peste. Contentons-nous de ce que nous avons, et puisque Salvator Rosa n’est plus de ce monde, laissons venir à nous M. Daubigny ; son dessin a bien de la vie et du naturel, le vent y souffle rudement, je ne lui reproche qu’un défaut : celui de ne point spécialiser assez le lieu de la scène, d’être un paysage quelconque où l’orage éclate, et point du tout ce paysage. Le chêne ressemble à tous les chênes de la forêt ; il n’a rien d’individuel, rien d’héroïque, le roseau se perd dans le fouillis ; en un mot, je ne retrouve pas mes personnages. Veut-on un contraste à ce tableau d’un site ravagé, le Cerf et la Vigne de M. Bodmer va nous l’offrir. Ici tout respire le calme ou du moins l’apparence du calme, car à travers la frondaison de la vigne, dont l’imprudent animal fait litière et qu’il éclairât à belles dents, vous apercevez au loin déjà la meute en quête de sa proie. M. Bodmer a très finement rendu le mouvement du petit drame. Son cerf, vu de dos, a grande tournure ; il fallait un animalier pour traduire cette fable, comme il fallait des peintres de genre pour le Coche et la Mouche, l’Enfouisseur et son Compère, la Chatte métamorphosée en femme, et des peintres d’histoire pour le Paysan du Danube, les Deux Amis, le Berger et la Mer. — Mais, dira-t-on, avec un tel système on arrive à ne produire que des ouvrages sans unité. — L’objection était d’avance trop bien indiquée pour ne pas tenter les esprits superficiels. Réfléchissons pourtant aux conditions si particulières d’un tel livre, représentons-nous le génie d’un La