Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parties du monde. Au milieu de cette encyclopédie générale de tous les sujets passés, présens et à venir, il y a, comme d’habitude, une lacune : c’est celle de l’art religieux.

Les statues religieuses sont pourtant fort nombreuses cette année ; mais les meilleures passent inaperçues, les autres ne se font remarquer que par leur extravagance. C’est à ce titre que nos yeux s’arrêtent sur le Saint Jean-Baptiste de M. Saint-Jean. Avec sa longue figure maigre ombragée d’une immense crinière pareille à la perruque d’un lord-chancelier, il rappelle la caricature fameuse de lord Brougham par Dantan. M. Saint-Jean aura lu quelque part que dans certains cas de folie les cheveux se hérissent, et il fait de sa science médicale un usage fort irrévérencieux. Une autre statue de saint Jean, par M. Lafrance, présente le déplaisant contraste d’une attitude ambitieuse et mélodramatique avec le corps grêle et étriqué d’un bambin de dix ans. Le Christ au roseau, de M. Thabard, n’est pas une œuvre vulgaire ; la douleur, la résignation, y sont bien exprimées, mais la divinité y manque, comme la fermeté et la beauté sculpturales. En général, la religion chrétienne, surtout celle de notre temps, avec ses fadeurs sentimentales ou sa poésie souffrante, convient assez peu à la sculpture. La sculpture est naturellement païenne, parce qu’elle est nécessairement saine et bien portante. Elle ne s’accommode à la poésie chrétienne que dans les sujets heureux ou triomphans, où elle peut du moins introduire quelque veine de paganisme.

C’est ce qu’ont fait les grands maîtres de la renaissance ; c’est ce que fait aussi M. Barrias dans son Monument funéraire. Des quatre statues assises qui en décorent les angles, il en est deux que nous connaissons déjà ; la troisième, qui représente sainte Sophie, est assez insignifiante ; elle a beau tenir une épée sur ses genoux et une palme à la main, elle ressemble, avec ses cheveux ondes et sa médiocre draperie, à une fausse impératrice romaine. La quatrième est une figure d’ange légèrement penchée en avant, laissant tomber, sur ses genoux ses deux mains jointes, inclinant un peu la tête sur son épaule avec un air de recueillement et de prière. Ses ailes ont une courbe gracieuse qui suit les mouvemens de son corps. Les longs cheveux qui lui encadrent le front, le long manteau en forme de chasuble qui est agrafé sur son épaule, rappellent le type des jeunes assistans du miracle de Bolsena dans la célèbre fresque de Raphaël ; c’est un charmant composé du jeune lévite de la Bible et de l’éphèbe athénien du temps d’Alcibiade.

Il y a de la noblesse et de la gravité dans le beau bas-relief de M. Marqueste, Jacob et l’ange. Pour, mieux exprimer, l’élan que l’ange va prendre vers le ciel, l’artiste s’est gardé avec raison d’équilibrer mutuellement les attitudes de ses deux figures et de