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Berryer, s’accorde mal avec les formes athlétiques et les attitudes majestueuses. L’homme moderne, en sculpture, a besoin d’être ennobli ou romantisé : les grands artistes parviennent à l’ennoblir, les petits se contentent de le romantiser de leur mieux. De là le goût et l’abus des accessoires, de là cette invasion de barbes hérissées, de crinières sauvages, de chevelures savamment échafaudées, entrelacées de bijoux et de fleurs, ces bustes d’hommes pommadés ou incultes, ces bustes de femmes écrasées de parures, accablées de bouillons, de rubans et de dentelles. Pour un excellent morceau, comme l’Henri Monnier de M. Moulin, largement établi dans un sentiment gras et fin, à la façon du Vitellius antique, — pour un portrait sincère et honnête, comme celui de M. Hanoteau par M. Cougny, on rencontre une multitude de bustes tapageurs et prétentieux, comme celui de M. Chatrousse ou celui de M. Carolus Duran. Pour un marbre délicat et fin, comme le buste de Mme M…., par M. Falguière, ou celui de Mlle F. B., par M. Franceschi, on a M. Barrau, élève de M. Falguière, qui transforme une Française en Égyptienne, avec des serpens autour du bras et des anneaux d’or aux oreilles, on a M. Pécron, qui rivalise avec M. Manet, — on a surtout M. Carrier-Belleuse, un homme de grand talent qui manque de goût et dont les fautes sont trop brillantes pour ne pas gâter en même temps le goût du public. Son buste de Mlle Croizette, l’actrice bien connue de la Comédie-Française, exagère ce qu’il y a de commun et de maniéré tout à la fois dans cette beauté originale, mais un peu vulgaire. Il la représente en déshabillé galant, une épaisse draperie lourdement chiffonnée sur l’épaule, un paquet de roses sur le sein, tournant de côté son visage grimaçant et l’extravagant édifice de sa coiffure. Quoique ce buste ne descende pas jusqu’à la taille, il a quelque chose de contourné, et pour ainsi dire de déhanché, qui rappelle les chanteuses de certains concerts et les danseuses de certains bals publics. Le modelé même en est lourd, décousu et tapageur. N’en déplaise à M. Carrier-Belleuse, l’art du XVIIIe siècle était de meilleur aloi ; il avait tout au moins meilleure façon.

Le véritable héritier des traditions du XVIIIe siècle, c’est M. Carpeaux. Sa sculpture, traduite en marbre, perd bien quelque chose de sa chaleur et de son originalité pittoresque ; elle y gagne en revanche un moelleux et un fondu qui lui donnent plus d’unité. Le buste de Mme Sipierre, quoique un peu trop chiffonné, est gracieux et fin ; celui de M. Alexandre Dumas est une merveille. Les cheveux au vent, le col dénoué, le regard animé, la physionomie inquiète et pleine de vie, les lèvres crispées avec une expression amère et dédaigneuse, c’est bien là le poète misanthrope, le moraliste chagrin, l’écrivain à la fois mystique et trivial que nous connaissons tous. Il