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bras sur l’épaule et lui remet de l’autre main la pomme fatale, tandis qu’Adam la considère et l’interroge du regard. Mais laissons cela de côté ; la scène est pauvrement conçue, platement traitée, peu intéressante enfin. Ce qui nous intéresse, c’est l’ample facture de ces deux corps robustes et superbes, presque beaux, à force de puissance, dans leur héroïque bestialité. L’Adam est cousin germain de l’Hercule Farnèse et du Boxeur de M. Courbet ; l’Eve est une sorte de Junon encanaillée, apparentée tout à la fois à la Vénus de Milo et à la Baigneuse de M. Courbet. Son torse charnu, ses vastes hanches, ses jambes vigoureuses, ses larges épaules, tout ce corps de paysanne se déploie d’un seul jet, avec un modelé ronflant, où la sobriété même des plans concourt à la plénitude des formes. Du reste, aucune noblesse d’attitude, aucune grandeur d’aspect, aucune entente des côtés poétiques de l’art sculptural. On est confondu, que des qualités de premier ordre puissent ainsi se concilier avec une imagination stérile et avec un goût trivial. Dans l’ensemble, c’est une œuvre commune, mais ce n’est pas une œuvre médiocre ; il faut la considérer au point de vue du métier comme une simple étude. À cette condition, c’est de la grande et même de la très grande sculpture ; c’est presque de l’antique, avec l’idéal en moins.

La vigoureuse et excellente étude de M. Perrault, la Parade, est conçue dans le même sentiment positif et réaliste, avec une nuance académique en plus ; cela est naturel, puisqu’il s’agit d’un boxeur posé selon toutes les règles de l’escrime. Le Chien de Montargis de M. Debrie, dont le sujet est emprunté à une anecdote bien connue d’un de nos anciens chroniqueurs, mêle à la même énergie réaliste et à la même vigueur d’exécution une violence d’action et d’expression qui ne convient pas à la statuaire. Sans parler de la difficulté matérielle de faire tenir en équilibre un homme qui tombe à la renverse, il a fallu beaucoup de talent pour rendre les grimaces d’un homme pris à la gorge par un chien furieux ; mais c’est du talent mal dépensé. La sculpture n’est pas faite pour éterniser l’image des contorsions de la douleur physique.

L’Orphée de M. Tournois n’exprime du moins que la douleur morale. Avec moins de puissance que M. Captier, mais avec la même grandeur de plans et la même largeur dans le modelé, il montre ce que les statuaires de la nouvelle école gagneraient à mettre leurs éminentes facultés sculpturales au service d’une inspiration plus élevée et d’un goût plus sévère. Il y a bien des faiblesses dans cette statue ; les jambes et le genou droit en particulier sont traités avec une largeur qui va jusqu’à la négligence et jusqu’à l’indécision ; mais le torse est beau, la pose, un peu tourmentée, exprime