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contumace. Les cadavres des inquisiteurs assommés furent rapportés en grande pompe à Toulouse, où on leur fit de splendides funérailles. La dévotion toulousaine les invoque encore aujourd’hui comme des saints patrons. Sur leurs tombeaux, qui n’existent plus, on lisait cet euphémisme : Albigensiumi gladiis pro Christo occisi, « tués pour le Christ par l’épée des albigeois. » La nouvelle de ce meurtre audacieux monta les têtes. Les populations méridionales s’agitèrent. Raymond de Toulouse, qui, tout en feignant d’obéir au pape et au roi de France, n’avait cessé de tramer dans l’ombre des négociations avec les ennemis de la maison capétienne, crut que le moment était venu de lever le masque. Les rois d’Aragon et de Castille lui avaient promis leur concours. Une armée anglaise débarquait à Bordeaux. Toutes les conquêtes de Philippe-Auguste étaient compromises. Le roi Louis IX fut à la hauteur de la situation. Il prévint par une marche rapide l’arrivée des alliés attendus par les Anglais et infligea à ceux-ci deux défaites signalées à Taillebourg et à Saintes. Les velléités de révolte des seigneurs du midi ne tinrent pas devant ces éclatans succès de la maison de France, et Raymond VII dut humblement demander une paix qu’il n’obtint qu’en consentant à de nouvelles aggravations du traité de Paris. Ce fut encore Blanche de Castille qui présida aux négociations. Elle exigea le supplice des conjurés d’Avignonet, et de plus que « l’on coupât la tête du dragon, » c’est-à-dire que l’on détruisît Montségur, ce boulevard suprême du catharisme. On fit périr quelques obscurs complices du drame d’Avignonet ; les plus coupables s’étaient mis hors d’atteinte. Quant à Montségur, il était plus facile d’en ordonner la destruction que d’en venir à bout.

Il faut savoir que déjà le comte de Toulouse, déférant aux volontés de la cour de France, avait promis de s’emparer de ce nid d’aigle et d’enlever ainsi sa citadelle au catharisme condamné. Il avait envoyé des troupes, et, prétextant les difficultés, d’ailleurs très réelles, d’une attaque de vive force, il s’était borné à organiser un blocus qui ne fut pris au sérieux ni par les assiégeans, ni par les assiégés. Aussi Blanche voulut-elle que ce fût désormais l’armée royale, sous les ordres immédiats d’un sénéchal désigné par elle, qui fût chargée du siège. Raymond, déçu et honteux, se rendit en Italie pour faire sa paix, disait-on, avec le pape, peut-être en réalité pour ne pas assister à la ruine totale de ses meilleurs partisans.

Il est peu de sites en France qui parlent plus à l’imagination que celui de Montségur. C’était un domaine de l’antique maison de Belissen-Mirepoix, dont le nom celtique fait penser au temps où Bellisana, Belena ou Mélissende était adorée comme déesse lunaire et guérissante. Cette race vaillante et poétique avait produit des