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Louis XV en avait déjà fait la remarque : dans le dauphin, c’est le caractère polonais qui domine. Il avait cette humeur vive et changeante, cette indolente paresse, ces brillantes saillies, que l’on retrouve exagérées jusqu’au délire chez sa sœur Adélaïde, sorte de garçon manqué, aux allures masculines, à la voix de basse-taille, et qui n’eut qu’un printemps ou deux la grâce et le charme de la femme. Il est vrai qu’alors elle fut vraiment belle, d’une beauté éclatante et dangereuse, qui rappelait le type bourbonnien avec une rare élégance. Dans le tableau de Heinsius, avec ses grands yeux noirs aux chauds et doux rayons, elle saisit et subjugue, sans violence aucune, par l’expression alanguie et suave de sa figure. Elle n’est point sinistre, comme on l’a dit, non plus qu’aux portraits de Nattier : on peut seulement trouver en toute sa personne quelque chose d’étrange, de légèrement égaré.

Cette dernière impression était certainement plus vive dans la réalité. Jamais femme ne présenta d’aussi brusques contrastes qu’Adélaïde, un tel manque d’équilibre dans les facultés, un si violent déchaînement de fantaisies bizarres. Tous les enfans de Marie Leczinska ont hérité, à divers degrés, des terreurs qui avaient hanté le berceau de la fille de Stanislas, et qui la suivirent à Versailles même, dans le palais de Louis XIV. La reine, on le sait, était souvent prise de peur subite, craignait les revenans, se relevait la nuit et courait dans sa chambre. Le roi, ses femmes, rien n’y faisait. Il fallait l’endormir comme un enfant qu’on berce aux récits de quelque histoire ; sa main reposait dans la main d’une de ses dames, afin de n’être pas seule quand un vague effroi la faisait se dresser sur son séant, l’oreille tendue, l’œil hagard. Plus tard, après la naissance de ses dix enfans, des infirmités graves vinrent encore compliquer cet état maladif. Lorsqu’on en lit le détail dans Argenson, on n’est point surpris que le roi se dérobe. Ce n’était pas seulement parce qu’elle ne lui donnait plus que des filles. Sans avoir jamais aimé Marie Leczinska, Louis XV montrait pour elle de l’affection et une sincère estime. Il y avait pourtant dans cette Polonaise un grain d’humour qui n’allait pas à son bon sens tout français ; il n’a sûrement pas goûté la fine ironie, l’humeur fantasque, nullement d’une sainte, que révèlent les portraits de la reine.

Il n’y a pas jusqu’à la bonne Victoire, gracieuse et fraîche enfant naïvement sensuelle, déjà d’un embonpoint fleuri, qui, en dépit d’une imagination infiniment moins désordonnée que celle d’Adélaïde, n’ait connu les terreurs paniques dont nous parlons. Dans la suite, on ne manquera pas de dire qu’elle les avait gagnées à Fontevrault, dans les caveaux funèbres de l’abbaye, où parfois les religieuses l’envoyaient en pénitence ; mais la connaissance comparée, si j’ose dire, du caractère des six sœurs rend superflue cette