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consécration. Pour rattacher à la sainte Russie le sol à demi finnois de sa ville au nom allemand, le réformateur fit porter de Vladimir à Pétersbourg les reliques du saint Louis russe, d’Alexandre Nevski, qui, par sa victoire sur les Suédois au bord de la Neva, pouvait sembler le précurseur du vainqueur de Charles XII. Autour du tombeau du saint national s’éleva aux portes de la capitale un vaste couvent qui, pour les richesses et les privilèges, fut mis au rang de Troïtsa et de Petcherski.

La population de ces cités monastiques n’est plus aujourd’hui ce qu’elle fut autrefois. Le peuple y afflue encore en pèlerinage, les moines qui s’y enferment sont relativement en petit nombre ; souvent ils semblent n’être plus que les gardiens de ces citadelles religieuses, jadis habitées par des centaines de moines. La décadence graduelle du monachisme est déjà indiquée par la répartition géographique des monastères. A cet égard, une carte de la Russie monastique serait instructive. Le nombre des couvens est en rapport non point avec la densité, mais avec l’ancienneté de la population. La plupart se groupent à l’entour des vieilles capitales ou des vieilles républiques, de Kief ou de Moscou, de Novgorod ou de Pskof. Dans les régions de colonisation récente, dans la terre noire ou les steppes du sud et de l’est, les couvens sont rares. Les Russes en établissent cependant toujours quelques-uns dans les contrées nouvellement colonisées, ainsi en Grimée, dans le Caucase et en Asie. Chaque évêché en possède au moins un, dont le supérieur est membre de droit du consistoire diocésain. Il y a aujourd’hui dans l’empire environ 500 couvens, contenant un peu moins de 6,000 moines, un peu plus de 3,000 religieuses[1]. Le petit état romain, à la veille de la suppression des moines, en comptait presque autant. En Russie, le nombre des religieux est, il est vrai, plus que doublé par celui des frères lais et des novices, mais le total même n’a rien d’alarmant pour un état de plus de 80 millions de sujets et pour 60 millions de fidèles. Il n’y a là rien de comparable au spectacle offert naguère par l’Espagne ou l’Italie.

En Russie plus qu’ailleurs peut-être l’âge monastique est à son déclin. En y conservant plus de prise sur la masse du peuple, la religion y entraîne moins de fidèles dans ses cloîtres que dans beaucoup de pays catholiques. Ce n’est pas seulement que les fonctions sociales jadis remplies par les moines ont passé à l’état et aux laïques, c’est qu’en Orient la vie religieuse ne s’est point, comme chez nous, successivement adaptée à toutes les évolutions de la société pour les seconder ou les arrêter ; c’est qu’elle ne s’y est point

  1. Selon le compte-rendu du procureur-général du saint-synode pour l’année 1872, il y avait en cette année 383 couvens d’hommes avec 5,810 moines et 5,617 frères convers, 149 couvens de femmes avec 3,280 nonnes et 11,258 sœurs converges.