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renouvelée par la charité. En outre les deux grands faits qui dominent l’histoire ecclésiastique de la Russie moderne, le schisme ou raskol et l’institution du saint-synode, ont été presque également défavorables aux monastères. Le raskol a éloigné d’eux la portion la plus fervente du peuple, le synode les a tenus dans une dépendance peu propice à la vie religieuse. La faveur qu’à son origine le schisme rencontra dans plusieurs d’entre eux, à Solovetsk par exemple, amena l’église et l’état à soumettre les couvens à une surveillance plus sévère, à un joug plus étroit. Leur sourde opposition à la réforme de Pierre le Grand fut une autre cause de leur décadence. Le pouvoir s’appliqua à diminuer le nombre, la richesse et l’influence de ces refuges des idées anciennes. Toutes les restrictions qui se peuvent apporter à la vie monastique sans abolir les monastères, Pierre et ses successeurs les imposèrent. Un homme ne peut prononcer de vœux qu’à trente ans, une femme qu’à quarante. On ne peut entrer dans le cloître qu’après s’être libéré de toute obligation envers l’état, la commune ou les particuliers ; le moine doit renoncer aux privilèges de sa classe, à toute propriété immobilière, à tout héritage. Un instant, Biren, le favori protestant d’Elisabeth, ne permit la prise du voile qu’aux prêtres veufs et aux soldats en congé ; les vocations ne furent admises qu’avec l’autorisation du saint-synode. En 1742, il y avait encore 732 couvens d’hommes ; ils furent réduits de plus de moitié. On s’attaqua non pas seulement au nombre et aux biens des moines, mais aussi à leur domination, à leur influence religieuse. Le règlement spirituel, tout en les encourageant à l’étude des Écritures, leur défendit, sous peine de châtimens corporels, de composer des livres ou d’en tirer des extraits. Il leur fut interdit d’avoir dans leur cellule encre ou papier sans autorisation de leur supérieur, attendu, dit le règlement de Pierre le Grand, que rien ne trouble plus la tranquillité de la vie des moines que leurs insensés ou inutiles écrits. Les religieux ne durent avoir qu’un encrier commun enchaîné à une des tables du réfectoire et ne s’en servir qu’avec la permission de leur supérieur. C’étaient là de singulières réformes : en cela comme en beaucoup de choses, Pierre le Grand risquait de compromettre le but par les moyens. Si de semblables procédés ne pouvaient relever les moines, ils réussirent à leur enlever toute influence. Le bas peuple continua seul à regarder les couvens avec faveur, si ce n’est avec respect. Par un singulier contraste, ces moines tant abaissés ont conservé toutes les hautes dignités ecclésiastiques. Le maintien de ce privilège en de telles conditions serait une aberration, s’il s’appliquait réellement à la plèbe monastique. Ce qui l’explique, c’est que le plus grand nombre des religieux n’y ont aucune part, qu’il est réservé à une élite qui souvent n’a du moine que le nom et le costume.