Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’usage, au premier abord étrange, de ne conférer le sacrement de l’ordre qu’à un clerc uni à une femme. C’est que, s’il ne l’est avant son ordination, le prêtre ne sera jamais marié. Tant que ce point de discipline en vigueur dans tous les pays orthodoxes ne sera point abrogé, le célibat facultatif ne pourra faire disparaître la distance qui sépare les deux clergés ; tout au plus en créerait-il un troisième intermédiaire. Il y aurait ainsi dans le clergé paroissial deux catégories de prêtres presque aussi séparés par la vocation et le genre de vie qu’aujourd’hui le moine et le pope, A des hommes aussi différens, il serait difficile de confier des fonctions identiques. Ce n’est pas à dire que le prêtre russe doive toujours être obligé de choisir entre le mariage et le couvent. Il y a déjà eu quelques exemples d’hommes admis au sacerdoce sans être mariés et sans être moines. Il pourrait y en avoir davantage, mais de tels prêtres, placés en dehors des autres par l’obligation du célibat, ne serviraient point à relever le clergé marié.

L’introduction du célibat facultatif ne serait qu’un leurre, à moins qu’il ne préparât le célibat obligatoire, dont aucun Russe, aucun orthodoxe ne souhaite l’établissement. L’abrogation de l’usage qui n’admet à l’ordination que des hommes mariés serait un pas vers le catholicisme ; l’abandon de la discipline qui refuse le mariage au prêtre ordonné serait un pas vers le protestantisme. Cette dernière révolution, peut-être plus conforme aux tendances de l’esprit public, rencontre deux grands obstacles : à l’extérieur le besoin d’union avec les autres pays orthodoxes, à l’intérieur la crainte du raskol et l’attachement du peuple russe aux traditions. Les mêmes barrières avec la même discipline s’opposent à une autre innovation réclamée par certains esprits, au second mariage des popes. Le prêtre veuf ne peut convoler à d’autres noces ; lui ouvrir l’accès d’un second mariage serait encore violer les canons et aller même contre certains textes de l’Écriture. Peut-être le courant de l’esprit public emportera-t-il un jour l’église russe au-delà de ces règles traditionnelles ; le moment en est encore éloigné, et, comme en religion de telles réformes vont rarement seules, l’orthodoxie sera ce jour-là sortie de sa voie séculaire. Ce qui serait facile, ce que l’on commence à mettre en pratique, ce serait de laisser le pope veuf à l’exercice de ses fonctions. Le clergé blanc serait par là affranchi d’une des servitudes qui pèsent sur lui ; sa vocation, mise à l’abri des coups du hasard, ne dépendrait plus que de sa vertu et non de la vie d’une femme.

Les entraves que la tradition apporte au libre mariage des prêtres, elle les met au choix des évêques parmi les prêtres mariés. La discipline ne permet point la promotion d’un homme marié à l’épiscopat. S’il n’y avait là qu’une habitude, elle serait vite abandonnée ;