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son « royaume, » Hernani après Bilbao, sans doute pour mieux les rallier à sa cause. Il s’escrime avec le peu d’artillerie qu’il a contre ses sujets, qui ont l’audace de lui fermer leurs portes et de se défendre. Il est bien clair cependant que, depuis la levée du siège de Bilbao, l’insurrection carliste commence à se sentir menacée ; elle n’a plus ni la même consistance ni la même hardiesse. D’un côté, le prince Alphonse, le frère de don Carlos, qui tient la campagne en Catalogne et qui s’était chargé de pousser une pointe au-delà de l’Èbre en compagnie de sa jeune femme, dona Blanca, qui est une guerrière intrépide, le prince Alphonse vient d’essuyer une assez rude défaite vers Gandesa. Il est probable que le jeune prince, arrêté dans sa marche, ne reprendra pas de sitôt le cours de ses victoires au-delà de l’Èbre. Il a bien assez de se défendre en Catalogne sans tenter des entreprises aventureuses qui l’exposeraient peut-être à être pris dans une embuscade. D’un autre côté, les bandes carlistes qui sont dans les provinces basques et en Navarre, dont le vieux général Elio parait avoir laissé le commandement à Dorregaray, ces bandes ne laissent pas de se sentir menacées jusque dans leurs impénétrables retraites par la stratégie assez mystérieuse du général Concha, désormais chargé de poursuivre cette guerre jusqu’au bout. L’armée du nord se hâte lentement, il est vrai ; depuis un mois, elle a fait plus de marches et de contre-marches que livré de batailles. Concha avait besoin de renforts et d’argent avant de rentrer en campagne. Il a d’ailleurs changé maintenant le théâtre de ses opérations ; il n’est plus du côté de Bilbao, il était récemment à Miranda, à Logrono, sur l’Èbre, et il semble vouloir pénétrer en Navarre, attaquer l’insurrection dans une de ses citadelles, à Estella. Les carlistes ont, dit-on, 25,000 hommes avec lesquels ils espèrent tenir tête à l’armée régulière ; seulement ils ont bien des points à garder pour ne pas s’exposer à être enveloppés ; ils ont affaire à un soldat qui sait son métier, qui a maintenant de bonnes troupes, et il y aurait une circonstance qui pourrait être bien plus menaçante pour les carlistes que toute la stratégie de Concha : ce serait si les Basques, lassés de la guerre, découragés par l’échec de Bilbao, se mettaient, comme on le dit, à déserter le camp du prétendant et à se prononcer pour la paix. La campagne poursuivie par le général Concha peut avoir pour résultat de hâter ce mouvement d’opinion dans le pays basque, et le sort de l’insurrection tient peut-être aujourd’hui à un combat un peu décisif livré par l’armée régulière au gros des forces carlistes. La paix suivrait bientôt sans doute, le prétendant n’aurait plus qu’à se retirer en fugitif de ces malheureuses provinces qu’il livre depuis deux ans à toutes les désolations de la guerre, qu’il gouverne avec des chefs comme ce général qui tout récemment, toujours dans l’intérêt de la religion, condamnait tout individu convaincu de blasphème à avoir la langue percée. Ce sont là les procédés du gouvernement que don Carlos promet à l’Espagne, si elle veut bien