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tenter, il fallait plier bagage, et même il n’y avait pas de temps à perdre. On ne pouvait rester en panne, attendant des renforts; l’implacable mousson allait souffler d’un jour à l’autre.

La nouvelle de ce revers inattendu fit en Hollande l’impression la plus pénible. Le peuple hollandais est fier de son empire colonial, et à bon droit. C’est par là qu’il fait encore grande figure dans le monde. Ses vastes colonies sont en quelque sorte l’exposant de sa puissance d’autrefois. Elles sont l’aliment principal de sa prospérité, il est peu de familles qui n’aient des membres ou tout au moins des intérêts dans ces régions lointaines. Les Néerlandais ne se dissimulent pas que c’est seulement à force d’énergie, de vigilance et de bonne administration qu’ils conservent des possessions aussi considérables, et qu’il y a une certaine disproportion, au moins apparente, entre leurs forces réelles et leurs 20 millions de vassaux. Comme nous l’avons dit, il est juste et sage de leur part de travailler à l’amélioration matérielle et morale de ces populations mineures, dont ils sont en quelque sorte les tuteurs devant l’histoire; mais il faut de toute nécessité les maintenir dans la conviction qu’ils sont plus forts qu’elles, car, encore une fois, on peut dire que pour elles la force du droit est absolument identique au droit de la force. Il est toujours à craindre que des échecs retentissans, comme celui qu’on venait de subir à Atchin, n’engendrent chez ces peuples des velléités d’insurrection générale. Il faut de plus tenir grand compte du fait attesté par tous ceux qui connaissent de près le monde musulman et dont peut-être les promoteurs de la première expédition d’Atchin n’avaient pas suffisamment mesuré la gravité, c’est que l’islamisme, depuis une vingtaine d’années, est en recrudescence d’exaltation et d’hostilité contre les sectateurs des autres religions. On avait trop spéculé sur les divisions politiques à Atchin, trop peu prévu la cohésion que le fanatisme pouvait, au moment critique, donner aux élémens divergens de la population atchinoise. Ce réveil musulman a gagné en effet les peuples malais, et semble grandir chaque année sous l’influence des pèlerins qui vont à La Mecque se retremper aux sources mêmes de leur foi. Ce n’était donc pas seulement le déplaisir qu’on éprouve partout à la nouvelle d’un échec qui agitait les esprits en Hollande, c’était aussi la crainte des complications graves qui pouvaient survenir. Comme partout en pareille occurrence, on récriminait contre le gouvernement, dont on blâmait la politique belliqueuse, contre l’autorité coloniale, qu’on accusait d’imprévoyance et de légèreté, contre les chefs de l’expédition, dont on mettait en doute la capacité. Une circonstance à la fois piquante et triste pour un Français, c’est que souvent les plaintes de l’opinion se formulaient ainsi : nous n’avons pas eu d’expressions trop sévères pour censurer la conduite des Français