Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

persuasion, partagée par le peuple et par les grands, qu’avec un peu de patience on viendrait à bout, cette fois comme l’autre, d’un ennemi qui n’aurait jamais tout ce qu’il lui fallait pour emporter des positions fortifiées comme le Kraton, et qui ne comptait pas rester dans le pays en dépit des moussons. La lettre fut confiée à un émissaire malais, qui se chargea de la remettre au sultan, et partit escorté de quatre indigènes. Le pauvre Widikdio, — tel était le nom de l’émissaire, — ne devait pas revenir. Dans le voisinage du Missigit, il fut, ainsi que ses compagnons, arrêté par une bande atchinoise; un moment protégé par un personnage de quelque autorité, il fut bientôt condamné à périr. On lui infligea le cruel supplice qui consiste à attacher la victime étendue sur le dos, et à lui ingurgiter de l’eau jusqu’à ce qu’elle meure étouffée. On sut plus tard ces détails par ses compagnons, que l’on réduisit d’abord en esclavage. Ils avaient à porter le fusil et la cartouchière d’un chef atchinois, et devaient chaque jour subir une exposition en plein soleil pendant plusieurs heures. Le 11 janvier, ils apprirent que leur mort avait aussi été décidée; mais pendant la nuit l’un d’eux coupa ses liens avec ses dents, délia les autres, et ils parvinrent à gagner la rivière, qu’ils descendirent à la nage jusqu’aux avant-postes hollandais. Toutefois un de ces malheureux, qui s’était un instant aventuré sur la rive, fut surpris par un détachement ennemi, percé de coups de lance et laissé pour mort dans un fossé. Il put encore rentrer dans le courant et rejoindre ses camarades, mais il mourut de ses blessures peu après son arrivée. Cet odieux traitement infligé à des parlementaires prouvait à quel degré de fureur les sentimens du peuple atchinois et de ses chefs étaient montés. Il n’y avait qu’à dompter de pareilles gens à coups de canon.

Le général van Swieten ne voulait rien laisser au hasard, et déjà il avait arrêté le genre de manœuvres qui devait lentement, mais sûrement, le conduire au but, tout en ménageant ses soldats. Il avait très bien vu que la force de l’ennemi consistait surtout dans la facilité que lui offrait un pays marécageux et boisé, adossé à des montagnes inexplorées, pour jeter des nuées de combattans invisibles ou difficiles à joindre sur les flancs des colonnes lancées en avant. Incapable de soutenir le choc direct de troupes bien commandées et disciplinées, il pouvait, tout en reculant toujours, leur infliger des pertes si graves que de succès en succès on eût marché, comme la première fois, vers l’insuccès final. En revanche, les défenseurs d’Atchin, se battant en guérillas, redoutaient par-dessus tout de se voir coupés dans leur retraite. Il fallait donc n’avancer que pas à pas, en ayant soin de se couvrir par des travaux appropriés à chaque nouvelle étape, et déterminer les ennemis à la retraite par des mouvemens tournans qui les forceraient d’évacuer