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confiante ardeur excitée par le souvenir d’une longue supériorité sur leurs adversaires. Que sont devenus aujourd’hui tous ces gages assurés autrefois de la victoire ? En supposant qu’ils aient encore une influence positive, pourraient-ils, comme alors, suppléer à l’infériorité du nombre ? La dernière phase de toute bataille navale, la phase décisive, n’est-elle pas à présent cette mêlée où tout vestige des ordres antérieurs aura disparu, où chaque navire vaut par lui-même d’abord, — par sa vitesse, par sa puissance giratoire, par son armure, par ses canons, — puis par son capitaine, mais d’où chaque combattant sortira toujours avec des blessures, avec des avaries plus ou moins graves, assez sérieuses néanmoins pour qu’il ne puisse plus poursuivre la lutte contre de nouveaux adversaires gardés en réserve et frappant alors des coups décisifs ? S’il en est ainsi, à égalité individuelle des navires cuirassés composant deux escadres ennemies, la victoire est assurée, en ne faisant entrer en ligne de compte que les élémens appréciables, à la plus nombreuse de ces escadres.

La première des conclusions auxquelles on est dès lors conduit fixe les règles positives qui doivent présider à l’établissement naval de toute nation européenne. Le but qu’elle poursuit, c’est-à-dire l’ennemi qu’elle se propose spécialement de combattre dans l’avenir, et qu’on pourrait désigner par ces mots « l’ennemi héréditaire, » étant connu, le problème trouve sa solution immédiate, qui peut se formuler ainsi : établir l’égalité du nombre et l’égalité des types des navires de combat avec ceux de cette puissance, créer en plus une réserve dont l’action décidera de la lutte. N’est-ce pas au reste la règle dès longtemps adoptée par toutes les nations qui ont voulu se donner une marine cuirassée, règle adoptée tout d’abord par une instinctive prévoyance plus que par une exacte connaissance de la réalité, telle que devaient la créer en si peu de temps les applications de la science à la guerre maritime, mais qui est une sanction du principe lui-même et la condamnation du système suivi quand notre objectif était la rivalité de notre marine avec celle de l’Angleterre ?

Ce principe reste vrai tant que le navire cuirassé demeure l’élément essentiel de la puissance maritime ; mais, on l’a vu, déjà cette supériorité est révoquée en doute, niée même par les meilleurs esprits[1], qui affirment que son règne est passé et qu’il n’est plus

  1. Après l’opinion de M. le vice-amiral Touchard, il nous paraît utile de citer ici les conclusions d’un livre remarquable à plus d’un titre, la Marine cuirassée, par M. Dislère. « Un jour viendra, dit l’auteur, où nos flottes nous seront de nouveau nécessaires, où, laissant de côté des idées de philanthropie qu’on nous a appris à oublier, il faudra lancer sur toutes les mers du globe des croiseurs, nous voudrions pouvoir dire des corsaires, où nos garde-côtes auront à faire respecter nos rivages, et nos escadres de