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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/197

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1,074,656 tonnes, et la seconde 18,822 navires et 1,013,098 tonnes. On devine quelles richesses se cachent sous ces chiffres, et que, pour les trois premières de ces nations surtout, ruiner leur marine marchande, ce serait les frapper au cœur. Dès lors le but de toute guerre maritime est clairement indiqué, et aussi les instrumens de cette guerre. Ce but, c’est la ruine du commerce ennemi ; la guerre maritime, dont les règles nous apparaissent incertaines, les victoires stériles, devient la guerre de course, et le navire de l’avenir, d’un avenir aussi durable que les bases actuelles de la prospérité, de la richesse, de la grandeur des nations modernes, n’est plus le vaisseau cuirassé, même le plus invulnérable et le plus puissant par son artillerie : c’est le croiseur à marche supérieure, et à la vapeur et à la voile, dont le capitaine, dédaigneux de tout faux point d’honneur, évitant toute rencontre avec un adversaire, même à chances égales, ne poursuit qu’un seul but, la destruction des navires de commerce ennemis.

L’humanité peut protester et crier au retour de la barbarie ; ces protestations porteraient à faux, et d’ailleurs ce n’est point les conséquences de la guerre qu’il faut prévenir, c’est la guerre elle-même. Pour nous, dont la marine marchande, c’est-à-dire le seul enjeu de la guerre, ne vient qu’en quatrième ligne, nous devons d’autant plus nous féliciter de ce retour à la guerre de course qu’impose à toutes les marines la raison même des choses de la mer, que cette guerre est la plus conforme à nos traditions, qu’elle répond le mieux au génie de notre race. Quels noms les marines étrangères, même les plus fières d’un passé glorieux, ont-elles à opposer à ceux des Jean-Bart, des Dugay-Trouin, des Bouvet, des Surcouf, des Duperré, que la course a immortalisés ? S’il est certain que les idées nouvelles ne sont vraies, ne sont fécondes, ne constituent un progrès que lorsque la justice leur donne sa sanction, qui ne voit qu’à notre époque, où la notion du juste semble de plus en plus s’obscurcir, la course, malgré toutes les apparences contraires, malgré des sophismes intéressés peut-être, en laissant aux nations les moins puissantes un moyen de frapper sur l’ennemi les coups les plus terribles, en déplaçant ainsi les bases sur lesquelles repose la force, rendra plus rare désormais l’appel que seraient tentés d’y faire ceux qui croient que la force prime le droit et que le succès justifie tout ? La solution pacifique de la question de l’Alabama est une preuve irrécusable qu’il en est ainsi désormais.