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III.

Les idées que nous venons d’exposer ont contre elles le plus grand des désavantages en France, elles contredisent les idées reçues. La constitution normale de notre flotte comprend, telle qu’elle a été réglée au lendemain de la dernière guerre, 16 cuirassés de premier rang, 12 de deuxième rang, 20 cuirassés garde-côtes, et seulement 8 frégates ou corvettes rapides à batterie, 8 corvettes rapides à barbette, non cuirassées. Ces chiffres sont le plus éloquent commentaire de l’importance assignée à la flotte cuirassée, aux opérations de guerre auxquelles seules elle se prête. L’exemple des États-Unis d’Amérique, qui n’ont jamais déserté la voie où nous voudrions voir notre marine entrer plus résolument, celui de l’Angleterre, qui, dans l’universalité des élémens de sa flotte, y marche à grands pas par la construction des croiseurs les plus rapides du monde, enfin les jugemens portés par des esprits d’élite et si compétens d’ailleurs sur la puissance réelle des flottes blindées, doivent-ils modifier bientôt les idées régnantes ? Nous l’espérons sans y croire ; au reste, et quelle que soit l’importance qui s’attache à ces modifications, ce ne sont pas elles qui doivent préoccuper le plus ceux que touchent l’intérêt et l’avenir de notre puissance maritime. Jusqu’à présent, nos recherches n’ont porté que sur un des élémens de notre marine, l’élément matériel : il en est un autre plus précieux qui ne s’improvise pas, dont la création et l’organisation exigent et le temps et les mesures les plus prudentes, et dont on peut dire qu’il est l’âme de notre flotte : cet élément, c’est le personnel de nos officiers. Dans quelles conditions est-il appelé à vivre, à se développer, quel est l’avenir que ces conditions lui imposent ?

Cet élément si essentiel, tel qu’il existe aujourd’hui, est à la hauteur de tout ce que la patrie peut lui demander. Ses preuves, il les a faites il y a moins de trois ans, et nos officiers de tout grade sont sortis à leur honneur de toutes les tâches, si rudes, si difficiles fussent-elles, que leur imposèrent nos malheurs. La France ne l’a pas oublié ; raison de plus pour qu’elle n’oublie pas à quelles conditions elle les retrouvera, tels qu’ils se montrèrent à cette époque à jamais néfaste, le jour où elle fera un nouvel appel, je ne dirai pas à leur patriotisme, à leur abnégation, à leur dévoûment, — ces qualités vivent toujours en eux, — mais à leur science professionnelle, à leur expérience, à leur esprit militaire ; ces conditions dussent-elles exiger les plus pénibles sacrifices, ils sont prêts à les accepter. Lorsqu’à la tribune nationale on a parlé de leur découragement en laissant croire que ce découragement tenait à des ambitions déçues,